Les bases de la foi ecclésiologique orthodoxe


Le trait essentiel de l'Orthodoxie est, qu'elle unit ses fidèles dans une fois à laquelle JAMAIS rien n'a été ajouté, dont rien n'a JAMAIS été retranché, dans laquelle JAMAIS rien n'a été modifié, et qui est identiquement et absolument la même, telle qu'elle fut prêchée par les premiers disciples du Christ.

Notre coup d’œil devra donc être une synthèse, -non pas de l’Orthodoxie comme d’une branche quelconque du christianisme,- mais du christianisme lui-même, dont l’expression, selon la compréhension orthodoxe, se trouve être l’Eglise, la Sainte Eglise, non pas seulement comme motif de crédibilité, mais comme objet même de la foi. Ce qui veut dire qu’elle n’est pas du tout une construction déterminée par une question de droit, mais par la simple présence d’un FAIT. Ceci est caractéristique pour la compréhension orthodoxe.

L’Occident ne voit dans la chrétienté orthodoxe que « des églises », conception qui entraîne des erreurs immenses. Nous venons ici pour tâcher de vous faire saisir ce quelque chose que l’esprit occidental n’a pas aperçu, ce point vital qui est l’essence même de l’Eglise Une et Indivisible selon la conception orthodoxe. C’est l’Eglise Une et Entière, sans distinction de races et de nationalités, l’Eglise dans son UNIVERSALITE, que nous allons tâcher ici de rendre accessible à votre compréhension.



LA GLOIRE DE LA MATIERE par Alexandre Kalomiros


LA GLOIRE DE LA MATIERE
 Alexandre Kalomiros


La gloire de la Divinité est aussi appelée gloire du Corps… le Corps Saint du Christ a toujours participé à la gloire divine, car dans l’union parfaite selon l’Hypostase, Il a été parfaitement comblé de la gloire invisible de la Divinité ; la gloire du Verbe et celle de la chair sont une seule et même gloire.
Homélie sur la Transfiguration saint Jean Damascène



Nous n’avons pas appris à être des meurtriers du corps, mais des passions. Abbas Poemène.



Les hommes qui ont pris l’habitude de penser en philosophe, ont de la peine à penser en chrétiens, et cela parce que la pensée philosophique est claire et ordonnée, logique et exacte comme les mathématiques. La religion, elle, elle parle une autre langue, la langue du Mystère qui ne cherche pas à expliquer l’inexplicable, ni à limiter, dans le cadre étouffant d’un mot, des significations que les anges eux-mêmes, quelquefois, ne comprennent pas.



Dans la Sainte Ecriture, on voit le même mot signifier des choses différentes, et des termes différents, signifier divers aspects d’une même chose. Nous rencontrons des phrases contradictoires qui cachent des significations et qui étonnent ceux qui les saisissent. On a beau fouiller la Sainte Ecriture, on n’y trouve nulle part un quelconque développement systématique d’idées.



Tout cela déplait à la pensée humaine, qui ne cherche que ce qui peut entrer dans son propre moule. C’est pour cette raison, que les hommes n’ont jamais laissé l’Evangile tel qu’il est, qu’ils ont toujours voulu le systématiser et, ce faisant, ont rempli le monde de systèmes chrétiens, classifiés, à la mesure humaine. Ils ont emprunté à la philosophie des systèmes à leur goût que l’Evangile leur refusait.



Ce ne sont pas les Pères ni les Saints qui ont fait cela, mais les savants, les intellectuels, les sages de ce siècle, qui n’ayant pas la sainteté, ont mis à sa place, pour être remarqués du monde, la manie d’écrire et de parler beaucoup, et ont ainsi bourré la tête des hommes de véritables équations religieuses, au point que l’arbre touffu de la religion, plein de mystère et de vie, a fini par apparaître comme un poteau télégraphique. Cette falsification de la religion, a produit une conception étroite du corps et de l’âme et de leur valeur dans la création de Dieu.



Les philosophes ont leurs définitions. Quand ils parlent du corps, ils définissent ce qu’il est. Leur définition est exacte et claire, totalement compréhensible ; même chose quand ils parlent de l’âme ; ils savent toujours ce qu’ils veulent dire avec chaque mot. Et c’est là leur faiblesse, car ni la création ni le Créateur ne consentent à être tels que les philosophes les voudraient.



Les philosophes disent que l’homme est composé de deux éléments ; du corps et de l’âme. Corps + Ame = Homme. C + A = H ; voilà une fort belle équation. Quoi de plus clair que cela. Mais si nous lisons la Sainte Ecriture, nous découvrons qu’elle ne comprend pas très bien les mathématiques et qu’elle nous déroute, alors que nous pensons avoir bien posé une belle équation. Là où elle parle de corps et de l’âme et nous comble de joie pour notre équation C + A = H, voilà qu’elle commence à nous parler de l’esprit. Alors qu’on s’apprête à modifier notre équation et la poser autrement : C + A + E = H, nous tombons sur une phrase comme celle-ci : « ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR », et à nouveau tout est renversé, sens dessus-dessous. Et notre équation doit être reposée comme suit : C = H.



Dieu n’aime pas l’algèbre en religion et nous devons admettre cela, une fois pour toutes. Dieu n’aime pas l’élucidation philosophique, même pour ses plus simples créatures, quoique les savants pensent le contraire : comment l’acceptera-t-il pour l’homme, pour Lui-même ? Plus les formulations scientifiques sont claires, plus elles paraissent tout expliquer, elles ne trompent pas moins notre pensée, parce que le monde dans sa plus simple molécule est beaucoup plus mystérieux que le pensent les sages, qui jamais ne peuvent pénétrer les causes des êtres.



Si vous aviez renoncé à l’Algèbre, vous n’auriez pas été scandalisé par la phrase : « le chrétien orthodoxe est matérialiste ». Oui, il est matérialiste et, en même temps l’homme le plus spirituel. D’un côté il vénère les icones et communie au Corps et au Sang de Dieu, de l’autre, il contemple Dieu "Face à Face". Si vous aviez proscrit les philosophes antiques, vous n’auriez jamais pu écrire : « NOUS ACCEPTONS L’ADOPTION, QUI NOUS DELIVRE DU CORPS ». L’Apôtre Paul écrit « REDEMPTION DU CORPS » et non « ETRE DELIVRE DU CORPS ». Non, Dieu n’a pas fait une mauvaise création de laquelle il serait ensuite venu nous délivrer. Les créatures de Dieu sont "très bonnes". Si vous aviez moins estimé les mathématiques, vous ne m’auriez pas envoyé une liste d’équations faites du Nouveau Testament, où "le corps apparait opposé à l’esprit ". Car s’il s’agissait d’équations, je pourrais, moi aussi, en trouver autant dans la Sainte Ecriture, qui prouveraient tout le contraire.



Le premier passage de l’Ecriture que vous m’indiquez –l’entretien du Christ avec Nicodème- ne révèle aucune contradiction entre le corps et l’esprit de l’homme.



« Ce qui est né de la chair est chair (c’est-à-dire l’homme non encore renouvelé par la Grâce du Saint-Esprit), et ce qui né de l’Esprit (l’Esprit Saint) est esprit. » (Cf. Jn. 3 : 6). Ce passage nous montre la différence entre l’homme sans le Christ et l’homme en Christ.



Le Seigneur a bien dit, comme vous l’écrivez : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Cf. Jn 6 : 63), cependant, avant de prononcer ces paroles, Il en dit d’autres qui sont redoutables : « je suis le Pain vivant descendu du ciel. Celui qui mangera de ce Pain, vivra éternellement. Et le Pain que je donnerai, c’est ma CHAIR, que je donnerai pour la vie du monde ». « Celui qui mange ma CHAIR et qui boit mon SANG, demeure en Moi et Moi en lui » (Jn 6 : 51,56).



Comment, pourrons-nous, après ces paroles du Christ, mépriser la chair ?



Un autre exemple, susceptible de nous égarer dans nos conclusions, c’est une parole de la Sainte Ecriture, empruntée à la première Epitre aux Corinthiens, que vous citez séparée de son contexte : « La chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu » (1 Cor.15 : 50). Cette citation séparée du contexte, semble nier la Résurrection des corps, alors que l’Apôtre Paul, dans cette partie de son Epitre, parle justement de la Résurrection des corps, « …Le corps semé psychique=animal, (corps psychique, quelle expression changeante, inconstante, variable pour les mathématiciens) ressuscite corps spirituel… Tous nous serons changés en un instant, en un clin d’œil… La trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous nous serons changés. Car il faut que ce corps mortel revête l’immortalité… (I Cor. 15 : 44 ; 51-53).



L’Apôtre dit que notre chair corruptible et nôtre sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, s’ils ne revêtent pas l’immortalité. Si donc la chair corruptible doit être revêtue d’immortalité c’est qu’elle n’est pas méprisable, ni condamnable, ni mauvaise.



La parole qui suit, au lieu de démontrer que j’ai tort en disant que le mal n’est pas la chair mais bien la pensée charnelle, prouve au contraire, que j’ai raison. « La pensée de la chair c’est la mort, la pensée de l’esprit c’est la vie et la paix » (Rom. 8 : 6).



Un peu avant, l’Apôtre écrit : « Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon chair mais selon l’esprit » (Cf. Rom. 8 : 1).



C’est donc le mode de vie de l’homme qui n’est plus que chair et mauvais, et non la chair elle-même. Car s’il en était ainsi, comment l’Apôtre aurait-il pu écrire plus bas, que le Christ «a condamné le péché dans la chair» (Rom. 8 : 3) ? Si la chair était péché, Dieu en se faisant chair serait devenu pécheur ! Loin de nous un tel blasphème. Si par le mot chair l’Apôtre entendait le corps, comment aurait-il pu dire plus bas, à des hommes qui avaient un corps : « Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair mais selon l’esprit » (Rom. 8 : 9).



Je pense avoir encore raison, en affirmant que le mal n’est pas la chair, c’est-à-dire le corps, la matière (laquelle sera délivrée de la servitude à la corruption), mais la pensée, l’affection charnelle, la vie selon la chair, comme si nous n’étions que chair, sans aucun rapport avec l’Esprit. Car comme l’Apôtre le dit à nouveau, le corps est incapable de pécher, quand le Christ habite en nous. « Si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, habite en nous, Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts rendra la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Rom. 8, 10-11).



On arrive à la même conclusion, quand on voit comment les Pères ont commenté le passage que vous citez : « la chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit, et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair. » (Gal. 5, 17).



Ici, l’Apôtre appelle chair la pensée charnelle adonnée aux choses charnelles et matérielles, qui entraînent l’âme avec elles, et il appelle esprit, la pensée spirituelle adonnée aux choses spirituelles, élevées et divines. Ces deux pensées ont des désirs contraires qui se combattent, l’une entraînant en bas le corps et l’âme, l’autre unissant l’âme et le corps.



Dans le verset précédent, le même Apôtre explique ce qu’il a voulu dire : « Marchez selon l’esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair » (Gal.5 : 16).



Il s’agit donc bien des désirs de la chair, de l’affection pour les choses charnelles et matérielles, chez l’homme déchu où la corruption s’est hypertrophiée, par opposition à la pensée spirituelle adonnée aux choses élevées, spirituelles et divines. Le désir de la chair a été donné à l’homme par Dieu. Dieu nous a faits pour avoir faim, soif, désirer la femme, etc… Toutes ces choses sont naturelles et ne peuvent nuire à l’homme quand elles demeurent dans les limites de leur affectation. Elles deviennent dangereuses, quand l’âme est vide, quand elle n’est pas remplie de la présence de Dieu, quand elle remplit son vide de plaisirs corporels. Si la place destinée à Dieu dans le cœur est occupée par les plaisirs de la chair, le cœur ne peut alors accueillir Dieu et l’avoir comme hôte. Voilà comment la chair désire contre l’esprit et l’esprit contre la chair. « Misérable que je suis ! -s’écrie l’Apôtre. Qui me délivrera de ce corps de la mort ? Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur. » (Cf. Rom. 7 : 24-25).Voilà, diront les païens triomphants, voilà que l’Apôtre demande à être délivré de son corps. L’Apôtre qui a prêché la Résurrection des corps, demande-t-il vraiment à être délivré de son corps ? L’Apôtre qui a dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, vaine aussi notre foi… vous êtes encore dans vos péchés, et par conséquent ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si c’est en cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. Et nous, pourquoi sommes-nous en toute heure en périls ?... Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons… quelques-uns, ne connaissent pas Dieu, je le dis à votre honte… » (1 Cor. 15: 14, 17-19, 32-34).



L’Apôtre ne dit pas : c’est sans importance si les corps ne ressuscitent pas, pourvu que les âmes vivent dans les cieux, mais il dit fort clairement : « Si les morts ne ressuscitent pas, ceux qui sont mort en Christ sont perdus. » (1Cor. 15: 16, 18).



Et qu’entend-il, quand il dit : « Qui me délivrera de ce corps de la mort ? » (Rom. 7: 24).



Pour les chrétiens, la mort n’est pas quelque chose de naturel, elle n’est pas une création de Dieu ni une punition imposée par Dieu aux hommes, à cause de la désobéissance d’Adam, mais une conséquence de l’abîme creusé entre Dieu et l’homme, par l’attitude d’Adam face à Dieu, quand Adam sur le conseil du Diable, voulut devenir Dieu par ses propres forces. En se séparant de la Vie, l’homme comme une proie entre les mains du diable, s’est livré à la mort. Voilà le corps de la mort, le corps de la corruption, le corps qui doit mourir, en réalité déjà mort.



« Qui me délivrera de ce corps de la mort ? »



Qui donc, si ce n’est Celui qui va vaincre la mort, qui ressuscitera des morts, qui portera dans le monde, d’En-Haut, un corps incorruptible et immortel ? Qui, si ce n’est le Christ ?



« Je rends donc grâces à Dieu, par Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rom. 7: 25)



Tous ce que les philosophes hellènes ont pu dire sur les âmes comme entités se suffisant à elles-mêmes et immortelles par nature, a été rejeté et désavoué par l’Eglise.



« Christ est ressuscité des morts, par la mort il a vaincu la mort, et à ceux qui étaient dans les tombeaux, il a donné la Vie ».



Ils étaient dans les tombeaux, mais ils n’avaient pas la vie. La vie le Christ la leur donne par sa Résurrection. Les philosophes hellènes qui croyaient que le corps était une prison pour l’âme, ne pouvaient accepter la prédication de la Résurrection, que l’Apôtre Paul leur fit entendre à l’Aréopage. Qu’auraient-ils fait de la Résurrection, eux qui croyaient que l’âme libérée de son corps vivait heureuse dans l’autre monde. Pourquoi l’emprisonner à nouveau dans le corps ? –Nous t’entendrons, à nouveau, une autre fois à ce sujet !



Non, la mort, tant pour les hébreux que pour les chrétiens, ne nous délivre pas du poids de la matière ; elle est une catastrophe redoutable et lamentable de la création de Dieu ! La vie en enfer n’est pas meilleure que la vie sur la terre, elle ne peut même pas être appelée vie. C’est pourquoi le peuple de l’antique Hellade, qui instinctivement pleurait les morts qui se trouvaient dans les Tartares de l’Enfer, où la lumière du jour ne pénétrait jamais, où la chaleur du soleil ne réchauffait pas les ombres, savait plus que ses philosophes à l’esprit subtil.



La mort a donc été la force du diable, qui a fait de nous, des jouets dociles entre ses mains. La mort s’est dressée devant nous terrible, implacable héraut de notre néant. Elle a été le fouet redouté, qui nous a fait courir comme des chevaux emballés, nous débattant sur les chemins sans issue. Elle a été l’âme de nos œuvres, notre force motrice, la cause qui a fait naître en nous l’amour de la gloire et d’orgueil. Nous avons taché de trouver dans la gloire, dans nos descendants, dans nos œuvres, l’immortalité perdue. Nous avons vécu dans l’étourdissement, dans un rêve actif, créant autour de nous un monde fugitif où notre tragique est oublié. Dans la gloire, la richesse et le plaisir, nous avons cherché le sentiment illusoire de l’existence. Nous avons cultivé la science acquise prématurément, pour en faire le fondement de notre valeur. Nous avons proclamé que l’homme était une valeur par lui-même, qu’il était une partie de l’essence divine (âme immortelle par nature et non par la Grâce) et qu’il n’avait pas besoin de Dieu. Nous l’avons dressé devant nous comme une idole et nous l’avons servi comme un dieu. Nous avons divinisé sa forme et ses caractéristiques, ses vertus et ses passions (les douze dieux hellénique). Nous avons cru qu’il pouvait se libérer par ses propres forces et se parfaire seul. Nous l’avons sacré mesure de toute chose. Nous avons divinisé sa raison, son cœur, ses instincts. La civilisation hellénique classique, s’est surtout fondée sur la raison, et la religion comme la philosophie de l’Extrême-Orient sur l’expérience et la force de l’homme, l’une et l’autre exclusivement fondées sur l’homme. L’homme avait l’illusion d’être libre, alors qu’en réalité il était esclave. Esclave de ses passions, esclave de la fatalité, de la corruption, de la mort, et par elles, esclave soumis au diable.



Voilà donc le sens des paroles de l’Apôtre : « C’est par un seul homme que le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et que la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous les hommes ont péché. » (Rom.5 :12) !



« Par l’envie du diable, la mort est entrée dans le monde » (Sag.2 :24). C’est ainsi que les hommes sont tombés dans le péché, poussés par la crainte de la mort ; « par la crainte de la mort, ils étaient toute leur vie retenus dans la servitude. » (Heb.2 :15).



Le Christ donc, n’est pas venu dans le monde, pour nous délivrer de nos corps, pour nous délivrer de la matière, pas plus qu’Il n’est venu pour nous délivrer de sa création. Au contraire, Il est venu délivrer sa création matérielle. Voilà pourquoi la Pâque est la plus grande fête des Orthodoxes, ce jour ayant été celui de l’achèvement de la Mission du Seigneur sur la terre. Ce jour-là, le diable s’est lamenté, en voyant détruit son empire sur les hommes. Ce jour-là, les Tartares de l’Enfer ont vu la Lumières, et les âmes des Justes ont été ramenées à la vie et transférées au Paradis, où elles attendent leur résurrection totale qui aura lieu lors du Second Avènement du Seigneur.



« Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes, les puissances, les dominations de ce monde de ténèbres » (Eph.6 :12).



Ce n’est donc pas la chair et le sang que nous combattons, mais le diable. J’insiste sur tout cela, parce que je crois que rien n’est plus important, pour celui qui combat, que de connaître son ennemi. Tous ceux qui croient –et ils sont nombreux- que le mal que nous devons combattre c’est le corps et la matière, frappent Dieu, dans cette lutte, au lieu de frapper le diable. Les chrétiens ignorent de quoi le Seigneur est venu les délivrer ! En analysant la pensée du grand nombre, on découvre que tous croient que le Christ est venu nous délivrer de la Justice de Dieu et de sa création. Y a-t-il plus grand blasphème ?



Je persiste à proclamer -et je ne suis pas hérétique- que la chair et la matière sont la porte du salut. Saint Athanase le Grand dit que « la nature humaine assumée par le Verbe fait Homme, a été la première et avant les autres, à être sauvée et délivrée, parce que devenue le Corps du Verbe même ».



Puis nous aussi avec elle, avons été délivrés, à cause de la parenté de la chair et sauvés comme concorporels à Lui ; « coordonnés et liés ensemble à Lui par l’identité de la chair, nous avons acquis l’incorruptibilité, l’immortalité et la déification » (Contre les Ariens).



La chair n’est donc pas méprisable, comme le veulent et le croient ceux qui philosophent. La signification de la chair, dans la Sainte Ecriture, cache un grand mystère, le Mystère de toute la nature humaine.



« Il nous a tous portés, en sa propre chair, et tous nous sommes en Lui. » (Saint Cyrille d’Alexandrie)



« Il a assumé l’homme total, et Il s’est tout entier et totalement uni à lui, afin de la sauver tout entier. Ce qui n’est pas assumé demeure non guéri. » (Saint Jean Damascène).



La nature humaine est une et indivisible, comme la nature de Dieu, même si les hommes forment une immense multitude, même, comme s’ils le pensent, ils sont indépendants les uns des autres. La chute d’Adam a apporté la mort et la corruption, non seulement à sa personne, mais aussi à toute la nature humaine. Adam est devenu corruptible, et avec lui tous les hommes sont devenus mortels à cause de l’identité de la nature. Les hommes n’ont pas péché dans la nature d’Adam, pas plus qu’ils n’ont été punis pour la culpabilité insensée d’un péché commis sans leur consentement, mais pour avoir hérité d’Adam une nature corrompue et la mort, ils ont été asservis au diable et soumis au péché. Comme Adam a transmis sa propre corruption à toute la nature humaine, de même le Christ a transmis sa propre incorruptibilité à tout le genre humain.



« La nature est une, unie en elle –même ; unité indivisible, elle ne peut augmenter par aucune addition, ni diminuer par aucune soustraction. Elle est une, même si elle apparait en une multitude, non morcelable, permanente et totale, non divisée, en chacun de ceux qui y participent… On peut dire qu’il n’y a qu’un seul homme, bien que dans la nature ils apparaissent innombrables… Les statères d’or sont nombreux, mais l’or est un ; de même innombrables sont les individus porteurs de la nature humaine, tels que Pierre, Jacques et Jean, mais en eux tous, il n’y a qu’un seul homme. » (saint Grégoire de Nysse, Il n’y pas trois Dieux).



Le Verbe s’est fait chair et les hommes sont devenus participants de la nature divine (2 Pierre 1 : 4). Voyez-vous le rôle de la chair ? Voilà pourquoi je dis et je répète –même si cela doit scandaliser- que par l’Incarnation du Christ, Dieu et la création se sont unis sans confusion, et que depuis, chaque pierre est une partie du Corps de Dieu, parce que la chair humaine est terre et que chacun de ses éléments est un élément de l’univers. C’est pourquoi nous n’attendons pas seulement la résurrection des morts, mais aussi la résurrection de la création, « une nouvelle terre, de nouveaux cieux » (2 Pierre 3 : 13). Et cela n’est pas, comme vous le craignez, du panthéisme. Mes parole sont claire : Dieu et la création ne sont unis sont confusions. Les Pères sont formels. Comme le fer est embrassé par le feu, l’homme est déifié « par sa participation à la Lumière Divine et non pas par un transfert dans l’essence divine. » (st Jean Damascène). Dieu « devient homme vraiment, pour faire de nous des dieux par la Grâce. » (st Maxime le Confesseur à Thalassios)



Donc le corps et la chair, dans la Sainte Ecriture et les Pères, signifient souvent la totalité de la nature humaine. « Le Seigneur se revêt de la chair et se fait homme, afin que par cette chair, le Verbe nous déifie, nous assume et nous donne la Vie éternelle » (st Athanase Sur l'incarnation du Verbe). D’ailleurs l’Eglise est Corps du Christ et notre appartenance au Corps du Christ, nous rend dignes de l’effusion du Saint-Esprit.



Notre religion n’est pas celle des Philosophes, mais la religion du Mystères ; elle ne cherche pas à expliquer l’inexplicable, qui d’ailleurs n’a pas besoin d’être expliqué. Elle parle de la chair, de l’âme, du corps, de l’esprit, sans les analyser et sans les définir. Seuls les philosophes prétendent savoir ce qu’est l’esprit, ce qu’est la matière, ce qu’est la chair, ce qu’est l’âme. Pour les chrétiens tout cela est mystère, des expressions sur la nature humaine une et indivisible, des expressions nécessaires, pour que la pensée puisse saisir certains états de l’homme ; par exemple le terme "âme " désigne ce qui demeure après la mort, et celui de "corps ", ce qui se décompose après la mort –bien que ce qui se décompose ne soit pas le corps vivant mais le corps mort-, et ces expressions deviennent dangereuses quand nous leur donnons un sens absolu, quand nous voulons y inclure tout le mystère de l’homme, et comprendre à la manière des philosophes, l’âme et le corps. En philosophant, nous ne pourrons jamais pénétrer le mystère de la Révélation Divine. Comment expliquer, avec la théorie des philosophes, les paroles de l’Eglise : « Toi qui a formé de terre l’essence des mortels », et aussi celles-ci : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière », ou encore : « Tu as honoré de ton image, ô Verbe, la créature de tes mains, tu as peint, dans la forme matérielle, la ressemblance de l’essence spirituelle », ou encore la cime sur laquelle les Pères élèvent la chair, « la gloire de la Divinité est appelée aussi gloire du corps… le corps saint du Christ a toujours participé à la gloire divine, car sans la sublime union, selon l’Hypostase, il a été parfaitement comblé de la gloire invisible de la divinité ; la gloire du Verbe et celle de la chair sont une seule et même gloire. » (saint Jean Damascène Homélie sur la Transfiguration).



Vous voulez m’arrêter sur une voie qui, selon vos craintes, risque de me conduire au panthéisme. Ce qui m’impressionne, c’est de vous voir scandalisé, par des choses qui forment cependant, la base même sur laquelle notre Eglise fonde la vénération des Icônes. Que la Grâce de Dieu sanctifie la création matérielle, je ne vois pas en quoi cela peut scandaliser un orthodoxe. Seuls les Franks et les Protestants n’acceptent pas que Dieu soit en contact direct avec sa création. Mais pour nous orthodoxes, cela est la vérité et le centre de notre vie spirituelle. Les Pères n’ont pas été seuls à enseigner et à lutter pour fortifier ces vérités, l’Eglise aussi s’est prononcée, conciliairement, à l’époque de saint Grégoire Palamas (†1359). La Grâce de Dieu, qui arrose la création, n’est pas une créature, comme l’enseignent les occidentaux pour éviter le panthéisme et pensent en philosophes. La Grâce de Dieu est une Energie Incréée de Dieu. Dieu tend sa main à ses créatures et attend qu’on lui tende la nôtre, pour nous tirer à Lui et nous faire siens. Cela n’est pas du panthéisme, parce que ce n’est pas Dieu en son Essence qui communique avec ses créatures, mais son Energie.



« Celui qui m’aime garde mes paroles, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et ferons notre demeure en lui » (Jn. 14 : 23).



« Ne savez-vous pas que vos corps sont les temples du Saint-Esprit qui est en vous » (1 Cor. 6 : 19).



Dieu ne se confond pas avec sa création, pas plus qu’il ne se tient loin d’elle. Il vit en ses saints, et leur dispense si efficacement son Energie, que même après leur mort, leur os et leurs corps font des miracles, et leurs icones, faites de bois, font également des miracles. Voilà la force du Dieu des chrétiens, et son amour pour nous qui sommes des ingrats !




…Je n’exagère pas en parlant ainsi. Je ne fais que souligner, tout simplement, des vérités oubliées. Si quelqu’un est surpris, cela sera dû à sa formation philosophique hellénistique et non à la tradition patristique orthodoxe. Vous dites que l’équation C + A = H. (corps, âme, esprit = homme) rappelle une certaine composition tripartite ; elle la rappelle fort bien et c’est à elle que je pensais en écrivant. C’est exactement cette erreur que j’ai dénoncée aux rationalistes, qu’ils ne peuvent pas formuler des équations et se dire en même temps orthodoxes. Philosophes sont ceux qui parlent de bipartisme et tripartisme. Bipartisme, tripartisme, monopartisme, synthétisme, avec le sens qu’ils donnent à ces termes, ne sont pas des concepts patristiques, mais des concepts philosophiques. L’homme ne peut être décrit par des équations, surtout par celle des rationalistes en théologie. La création de l’homme est "redoutable, difficilement explicable, un secret et un grand mystère de Dieu…"