Les bases de la foi ecclésiologique orthodoxe


Le trait essentiel de l'Orthodoxie est, qu'elle unit ses fidèles dans une fois à laquelle JAMAIS rien n'a été ajouté, dont rien n'a JAMAIS été retranché, dans laquelle JAMAIS rien n'a été modifié, et qui est identiquement et absolument la même, telle qu'elle fut prêchée par les premiers disciples du Christ.

Notre coup d’œil devra donc être une synthèse, -non pas de l’Orthodoxie comme d’une branche quelconque du christianisme,- mais du christianisme lui-même, dont l’expression, selon la compréhension orthodoxe, se trouve être l’Eglise, la Sainte Eglise, non pas seulement comme motif de crédibilité, mais comme objet même de la foi. Ce qui veut dire qu’elle n’est pas du tout une construction déterminée par une question de droit, mais par la simple présence d’un FAIT. Ceci est caractéristique pour la compréhension orthodoxe.

L’Occident ne voit dans la chrétienté orthodoxe que « des églises », conception qui entraîne des erreurs immenses. Nous venons ici pour tâcher de vous faire saisir ce quelque chose que l’esprit occidental n’a pas aperçu, ce point vital qui est l’essence même de l’Eglise Une et Indivisible selon la conception orthodoxe. C’est l’Eglise Une et Entière, sans distinction de races et de nationalités, l’Eglise dans son UNIVERSALITE, que nous allons tâcher ici de rendre accessible à votre compréhension.



Le rôle de l’Evêque au sein de l’Eglise


Le rôle de l’Evêque au sein de l’Eglise
Archimandrite Grigorios D. Papathomas

Au sein de l’Eglise orthodoxe, l’évêque est l’un de quatre charismes constitutifs de l’Eglise locale, du diocèse ecclésial. Les trois autres sont les presbytres, les diacres et les laïcs (cf. saint Hippolyte de Rome, La Tradition apostolique, écrite à Rome entre 202 et 218 ap. J.-C.). Du fait que l’évêque ne constitue pas un individu mais une personnalité corporative, étant à la place et à l’image du Christ -"bon Pasteur" (saint Ignace d’Antioche), il est évident que l’évêque est un charisme qui récapitule l’ensemble de son diocèse. Pour cette raison capitale, l’évêque occupe dans l’Eglise une place fort importante, car il est appelé à être le garant de la fidélité à la foi apostolique et le "lieu" unique de l’unité de son troupeau, du corps ecclésial local. Et ceci, dans plus d’un sens.
Tout d’abord, selon les canons de l’Eglise orthodoxe (Corpus canonum de l’Eglise, 1er-9e siècles), chaque évêque a la totale responsabilité des affaires de son diocèse. C’est lui qui choisit par étapes progressives son clergé, qui le forme et le guide (le clergé est soumis à des règles de comportement plus strictes que l’ensemble des fidèles) et qui l’affecte à différents "services". C’est lui qui surveille la régularité de la vie des diverses communautés, y compris les communautés monastiques (il n’y a pas d’ordres monastiques dans l’Eglise orthodoxe, mais seulement unus ordo monasticus). C’est lui encore qui est chargé d’enseigner tant les fidèles que les clercs. Il juge les fidèles et peut les écarter de la communion puis les réintégrer par étapes. Enfin il assure la gestion de tous les biens de l’Eglise, y compris ceux des paroisses et des monastères.
Mais tout évêque orthodoxe doit appartenir au synode des évêques d’une province de l’Eglise orthodoxe établie localement. Ce peut être un synode (généralement national) auquel est reconnu le droit "d’autocéphalie" (le droit d’élire son propre primat), mais toute Eglise orthodoxe établie localement (Patriarcat, Eglise autocéphale, Eglise autonome) dispose d’une certaine autonomie. La vie d’un synode provincial est un élément essentiel de la vie de l’Eglise orthodoxe, car chaque évêque membre doit y faire part des affaires de son diocèse et le président doit assurer la concorde entre les membres et parler au nom de tous. Enfin c’est au synode de choisir les nouveaux évêques pour les sièges vacants et de les ordonner. Eventuellement ce sera à lui de les juger et de les déposer. Depuis que les Eglises ethniques abandonnent la structure para-étatique qu’elles avaient adoptées au XIXème siècle pour remettre l’accent sur les responsabilités et sur l’autonomie des évêques, certains synodes ont tendance à adopter un comportement de type parlementaire, avec des tendances permanentes.

On peut se demander pourquoi il faut accorder une telle importance à la présence d’un évêque unique dans chaque Eglise locale-diocèse et à l’exercice d’une mono-juridiction. Quelle est, en fait, la raison profonde qui nous empêche d’accepter une réforme ecclésiologique administrative qui rendrait possible la coexistence de plusieurs évêques dans un même district ecclésiastique ? S’il s’agissait d’une question de nature purement administrative, on pourrait considérer que la question est d’ordre secondaire. Mais le problème réside dans le fait que ce problème, pris dans son ensemble, a des ramifications ecclésiologiques qui sont liées directement à l’unité de l’Eglise.
Plus précisément, l’unité de l’Eglise comporte plusieurs aspects. Elle est exprimée par l’unité en matière de foi, par la communion existant entre ses membres, etc., mais d’abord et avant tout par la participation des fidèles au mystère de l’unique Eucharistie, car c’est par la participation commune à ce sacrement qu’est accomplie la communion étroite des fidèles avec le Christ et entre eux. En recevant le Corps du Christ, chacun des membres de la communauté ecclésiale entre en communion parfaite avec le Christ et avec tous ceux qui partagent le même Corps. Il n’est pas fortuit que dans les premières années du Christianisme, la synaxe eucharistique et l’Eglise étaient synonymes ; c’est-à-dire que l’Eglise n’avait pas alors le sens que nous lui attribuons aujourd’hui : celui de l’ensemble du corps des Chrétiens qui croient aux vérités de la doctrine chrétienne et s’y conforment. Le mot signifiait d’abord et avant tout l’assemblée eucharistique des fidèles à laquelle prenaient part tous les membres de l’Eglise locale. Si le contenu sémantique du mot « Eglise » a pu se développer avec le temps, l’essence en est demeurée la même. La sainte Eucharistie en tant qu’union des fidèles avec le Christ et entre eux constitue l’Eglise même, et la conséquence directe de cette identification est la conservation d’une seule Eucharistie dans chaque Eglise locale. Par extension, l’unité des fidèles devant l’Eucharistie est à la fois une condition préalable de l’unité de chaque Eglise locale et une réalité identique à elle.
Le privilège de la célébration de la sainte Eucharistie a toujours été associé à la personne de l’unique évêque qui, officiant en lieu et place du [de l’unique] Christ, est reconnu comme la tête et le centre de l’assemblée eucharistique. Cette réalité était plus manifeste dans les premiers siècles chrétiens lorsque dans chaque Eglise locale il y avait une seule et unique célébration de l’Eucharistie, présidée par l’évêque local et par lui seul. En même temps, l’Eglise voyait en ce président celui qui unit en lui-même toute l’Eglise locale en vertu du fait qu’il l’offre comme le corps du Christ à Dieu. Cela s’exprimait aussi dans cette conception fondamentale de l’Eucharistie : l’unité de la multitude en un seul. C’est juste là la définition de la mono-juridiction. En effet, c’est de l’autel unique de l’unique Assemblée eucharistique que découle tout ce qu’opère le charisme de l’évêque. Par la suite, ce sont les paroisses qui constituent toutes ensemble une Assemblée eucharistique unique, l’épiscopie, l’Eglise locale qui constitue par définition un espace mono-juridictionnel. En d’autres termes, la genèse historique des paroisses et par suite la célébration de l’Eucharistie par des prêtres n’a pas conduit, en termes ecclésiastiques, à une fragmentation de l’Eucharistie centrée sur l’évêque : un Evêque—une Eucharistie—une Eglise locale—une Juridiction territoriale. Ainsi était préservée l’unité de l’Eucharistie qui est la condition sine qua non de l’unité de chaque Eglise territorialement locale qui n’a, à son tour, rien à voir avec la notion et la conception de la diaspora (sic).
De nos jours et au sein de la "diaspora" ecclésiale cette fois-ci, ce n’est pas une seule, mais plusieurs assemblées eucharistiques qui ont lieu dans le même territoire en conséquence de sa division en plusieurs diocèses épiscopaux et multi-juridictions ecclésiales, et donc la célébration de l’Eucharistie a cessé de dépendre uniquement et exclusivement d’un unique évêque qui garantissait ainsi l’unité ecclésiologique de l’Eglise manifestée dans un lieu donné.
Cela montre bien clairement pourquoi l’existence de plus d’un évêque dans un district ecclésial mono-juridictionnel n’est pas et ne pourrait pas être acceptable. Le résultat ecclésiologique d’une telle situation que l’on rencontre fréquemment au sein de la "diaspora" orthodoxe, est la fragmentation immédiate de l’Eucharistie puisqu’il n’y a plus un seul évêque dans chaque Eglise locale et donc plus un seul corps ecclésial. L’institution d’une Eucharistie unique sous son propre évêque local cesse automatiquement d’exister. Cela a pour autre conséquence l’éclatement de l’unité de l’Eglise locale elle-même, puisque l’unité de la sainte Eucharistie est la condition préalable de cette unité de l’Eglise. En d’autres termes, l’unité ecclésiologique sans unité eucharistique est inconcevable et une telle unité ne peut se réaliser autrement que par le rassemblement de tous les fidèles de l’Eglise locale sous un seul et unique évêque qui, en lieu et place du Christ, préside la célébration de la sainte Eucharistie dans la perspective de la mono-juridiction. C’est donc justement ici que réside le grand problème de la "diaspora" orthodoxe, qui anéantit toute la réalité ecclésiologique d’Eglise locale et, par extension, celle de l’Eglise instituée localement.
Pour résoudre ce problème ecclésiologique particulier et restaurer la taxis canonique, il est essentiel et indispensable que l’organisation des Chrétiens orthodoxes de la "diaspora" soit assurée par une autorité ecclésiastique unique, responsable de leur organisation en diocèses. Il faut que la conscience ecclésiale devienne de plus en plus sensible à cette nécessité, en écartant toute déviation ecclésiologique dominant aujourd’hui dans notre praxis ecclésiale. En fait, dans la mesure où l’organisation administrative ecclésiologique des évêques de la "diaspora" doit se faire sur des critères territoriaux et non pas nationaux, ce qui suppose l’existence d’un évêque unique dans chaque district ecclésiastique mono-juridictionnel, se pose nécessairement la question de l’autorité ecclésiale qui devra nommer ces évêques et de laquelle ils dépendront. Les canons de l’Eglise montrent clairement la voie et fournissent une solution définitive au problème de la "diaspora" et donc c’est un mensonge délibéré de soutenir que ces canons ont été promulgués pour une autre époque… Aussi longtemps que l’on insistera sur ce mensonge, l’Eglise orthodoxe ne cessera de présenter qu’une apparence et une existence divisées, avec la coexistence dans un seul et même district ecclésial mono-juridictionnel de plusieurs pasteurs différents et de plusieurs communautés de fidèles différentes, une réalité de fait qui provoque par définition l’anéantissement de l’unité de l’Eglise sinon l’anéantissement de l’Eglise elle-même…
Archim. Grigorios D. PAPATHOMAS
Institut de Théologie Orthodoxe “Saint Serge” de Paris


CONFESSION DE FOI de SAINT GREGOIRE PALAMAS


 

    
CONFESSION DE FOI
de saint Grégoire Palamas


Je crois en Un seul Dieu qui est avant toute chose, au-dessus de toute chose, présent en toute chose et transcendant le tout, confessé et adoré dans le Père, le Fils et le Saint Esprit : Monade dans la Trinité et Trinité dans la monade, unie sans confusion et distinguée sans séparation : La Même est Monade et Trinité toute-puissante. Le Père est sans principe ou origine, non seulement parce qu’il est hors du temps, mais aussi comme absolument sans cause ; lui seul est cause, racine et source de la Divinité considérée dans le Fils et le Saint Esprit ; lui seul est cause primordiale des choses créées ; il n’est pas seul Créateur, mais il est seul Père du Fils Unique et seul Projeteur de l’Unique Esprit Saint ; il est éternellement et éternellement Père, et éternellement Unique Père et Projeteur ; plus grand que le Fils et l’Esprit, en tant que cause seulement ; pour toute autre chose, identique à eux et co-honoré.

De ce Père, le Fils est unique, sans commencement en tant qu’il est hors du temps, mais non en tant qu’il a le Père pour principe, racine et source : du Père seul, avant tous les siècles, incorporellement, sans flux, sans passion, Il est sorti par engendrement, mais sans se séparer de Lui, comme Dieu issu de Dieu ; il n’est pas autre chose comme Dieu, autre chose comme Fils ; il est éternellement, et éternellement Fils et Fils Unique ; éternellement face à Dieu sans confusion, il n’est pas cause ni principe de la Divinité contemplée dans la Trinité, puisqu’il existe à partir du Père comme de sa cause et de son principe ; mais il est cause et principe de toutes les choses créées, car par lui tout a été fait. Lui qui existe en forme de Dieu, n’a pas regardé comme une usurpation le fait d’être égal à Dieu ; mais quand la plénitude des temps fut venue, il s’est anéanti lui-même, en prenant forme de la Toujours Vierge Marie, et par la bienveillance du Père et la coopération du Saint Esprit, il a été porté et enfanté selon la loi de la nature, Dieu et Homme à la fois ; et se faisant véritablement homme, il est devenu semblable à nous en tout sauf le péché, tout en demeurant ce qu’il était, Dieu véritable, ayant uni sans confusion ni mutation les deux natures, les deux volontés et les deux énergies, et demeurant Fils Unique en une seule hypostase même après l’Incarnation ; il a accompli toutes les œuvres divines comme Dieu, et touts les actes humains comme Homme, et il s’est soumis aux passions humaines irréprochables : comme Dieu, il est et demeure impassible et immortel, mais de sa propre volonté, comme Homme, il souffre selon la chair. Il a été crucifié, est mort et a été enseveli, et le troisième jour il est ressuscité.

Apparu aux disciples après la Résurrection, il leur promit la force d’En-Haut et leur ordonna d’enseigner toutes les nations, de les baptiser au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et de leur apprendre à garder tout ce qu’il leur avait commandé ; puis il a été enlevé au ciel et s’est assis à la droite du Père, faisant participer à notre pâte (la nature humaine) le même honneur et le même trône, la même divinité. Avec cette pâte (humaine) il reviendra en gloire juger les vivants et les morts et rendre à chacun selon ses œuvres.

Monté auprès du Père, il envoya sur ses Saints Disciples et Apôtres l’Esprit Saint, qui procède du Père : Il est, avec le Père et le Fils, sans principe en tant qu’il a, lui aussi, le Père pour racine, source et cause, non comme engendré, mais comme procédant.

Du Père, lui aussi, avant tous les siècles, sans flux, sans passion, Il est sorti, non par engendrement, mais par procession, inséparable du Père et du Fils, puisqu’il sort du Père et repose sur le Fils ; il est uni à eux sans confusion et distingué d’avec eux sans séparation. Il est lui aussi Dieu issu de Dieu, non autre chose comme Dieu, autre chose comme Paraclet ; Esprit auto-hypostatique (qui est une personne en soi), procédant du Père et envoyé, c’est-à-dire rendu manifeste, par le Fils ; il est, lui aussi, la cause de toutes les choses créées, car en lui tout a été parachevé. Il possède, avec le Père et le Fils, même honneur, hormis l’innascibilité et la naissance.

Il a été envoyé par le Fils à Ses disciples, c’est-à-dire, a été manifesté. Comment, en effet, pourrait-il être envoyé autrement par Celui dont Il est inséparable ? Comment pourrait venir autrement à moi Celui qui est partout présent ? C’est pourquoi Il est envoyé non seulement par le Fils, mais encore par le Père, et par l’entremise du Fils. Et c’est aussi de Lui-même qu’il vient en se manifestant. Car l’envoi, c’est-à-dire la manifestation de l’Esprit est une œuvre commune.

Il ne se manifeste pas selon l’essence, car « personne n’a jamais vu ni raconté la nature de Dieu » ; mais bien dans la grâce, la force et l’énergie, laquelle est commune au Père, au Fils et à l’Esprit. En effet, ce que chacun d’eux possède en propre, c’est son hypostase et tous ses attributs particuliers ; en revanche, ils ont en commun, non seulement l’essence suressentielle, laquelle est absolument sans nom, non révélée et imparticipable, parce qu’elle transcende toute dénomination, toute révélation et toute participation ; mais également la Grâce, la Force, l’Energie, la Splendeur, le Règne, l’Incorruptibilité, et, en un mot, toutes choses selon lesquelles Dieu se communique et s’unit par la grâce aux saints anges et aux hommes.

Ni la distinction, ni la diversité des hypostases, ni la séparation et la variété des forces et des énergies ne Lui font perdre sa Simplicité, de sorte que nous confessons un seul Dieu tout-puissant dans une seule divinité. En effet, il est absolument impossible que des hypostases parfaites puissent donner lieu à une composition ; et il est tout aussi impossible de dire que le simple fait de pouvoir fait de celui qui a ce ou ces pouvoirs, une chose composée.

Nous adorons aussi d’une adoration relative la Sainte Icône du Fils de Dieu décrit dans son humanité qu’il a prise à cause de nous, et nous reportons par relation notre adoration au prototype ; nous adorons semblablement le précieux bois de la Croix et tous les symboles de Ses souffrances, voyant en eux les trophées divins remportés contre l’ennemi commun de notre race ; de même pour la figure salutaire de la précieuse Croix, les lieux et les temples divins, les objets sacrés et les paroles données par Dieu, qui habite toutes ces choses.

Nous vénérons pareillement les icônes de tous les saints, à cause de l’amour que nous leur portons et à cause du Dieu qu’ils ont servi et aimé véritablement. Dans la vénération nous portons nos pensées sur les figures des icônes.

Nous adorons aussi les reliques des saints, car la grâce sanctifiante ne se retire pas de leurs ossements très saints ; de la même façon, en effet, la Divinité du Seigneur ne s’est point séparée de Son Corps durant la mort de trois jours.

Nous ne connaissons rien de mauvais par essence, ni d’autre principe du mal que l’écart commis par les êtres raisonnables (verbifiés) lorsqu’ils utilisent mal l’autorité sur eux-mêmes que Dieu leur a donnée.

Nous vénérons toutes les traditions, écrites et non écrites, de l’Eglise, et par-dessus tout, la très mystérieuse et toute sainte Communion, la Synaxe, la Cérémonie Sacrificielle d’où dérivent la perfection et la sacralité de tous les autres mystères, et dans laquelle, en mémoire de Celui qui s’est anéanti lui-même sans amoindrissement, et a pris chair et a souffert pour nous, selon le commandement prononcé par Sa voix divine, et l’acte accompli de Ses mains, sont consacrés et déifiés les dons très divins, le Pain et la Coupe. Dans ce sacrement se réalise le principe de Vie, le Corps et le Sang du Seigneur, et il est donné, à ceux qui s’en approchent avec pureté, d’y participer et d’y communier, d’une manière ineffable.

Tous ceux qui ne confessent ni ne croient comme l’Esprit Saint a prédit par les Prophètes, comme le Seigneur, apparu pour nous dans la chair, a décrété, comme les Apôtres, ses envoyés, ont prêché, comme nos Pères et leurs successeurs nous ont enseigné, mais qui ont pris l’initiative d’une hérésie individuelle ou ont suivi les misérables inventeurs de tels systèmes, nous les rejetons et les vouons à l’anathème.

Nous acceptons et recevons avec ferveur les saints Conciles Œcuméniques : celui des Trois-cent-dix-huit Pères théophores de Nicée, réuni contre le théomaque Arius, qui, dans son impiété (sa fausse doctrine), ravalait le Fils de Dieu au rang de la créature et scindait en créé et incréé la Divinité qui est adorée dans le Père, le Fils et l’Esprit ; le suivant, celui des Cent-cinquante Pères saints de Constantinople, contre Macedonius de Constantinople, qui, dans son impiété, ravalait l’Esprit Saint au rang de créature et, exactement comme Arius, scindait aussi en créé et incréé la Divinité une ; le suivant, des Deux-cents Pères d’Ephèse, contre Nestorius, Patriarche de Constantinople, qui rejetait, en Christ, l’union hypostatique de la Divinité et de l’Humanité, et refusait catégoriquement d’appeler Mère de Dieu la Vierge qui a véritablement enfanté Dieu ; le quatrième, celui des Six-cents Pères de Chalcédoine, contre Eutychès et Dioscore, qui dogmatisaient à tort une seule nature en Christ ; le suivant, celui des Cent-soixante-cinq Pères de Constantinople, tenu à la fois contre Théodore et Diodore, qui partageaient les opinions de Nestorius et s’efforçaient de les raffermir dans leurs écrits, et contre Origène, Didyme et un certain Evagre, auteurs anciens, qui avaient tenté d’introduire en fraude dans l’Eglise de Dieu des chimères de leur invention ; le suivant, assemblé dans la même ville, de cent-soixante-dix Pères, contre Serge, Pyrrhus et Paul, de Constantinople, qui rejetaient, en Christ, les deux énergies et les deux volontés, qui correspondent aux deux natures ; enfin le second Concile de Nicée, avec ses trois-cent-soixante-sept Pères, réuni contre les Iconomaques.

Nous reconnaissons également tous les saints Conciles réunis par la grâce de Dieu en divers temps et lieux pour affermir la piété juste et la vie évangélique, au nombre desquels nous comptons les conciles assemblés dans cette grande Ville, dans le temple fameux de la Sainte Sagesse de Dieu (Sainte –Sophie), contre Barlaam le Calabrais, et celui qui, à sa suite, adopta ses idées et mit tout son zèle et sa ruse à les défendre, j’ai nommé Acyndinos. Ceux-là dogmatisent que la grâce commune du Père, du Fils et de l’Esprit, ainsi que la lumière du siècle à venir, dans laquelle les justes brilleront comme le soleil, et que le Christ a montrée d’avance en brillant sur la Montagne, et enfin, généralement parlant, que toute force et toute énergie de la Divinité aux trois hypostases, dans la mesure où elle diffère, si peu que ce soit, de la nature divine, est une chose créée ; de sorte qu’ils scindent, eux aussi, de façon impie, la Divinité une en créé et incréé.

Les esprits pieux confessent que cette lumière très divine est incréée, et que toutes les forces et les énergies en question sont bien divines et incréées, aucun des attributs naturels de Dieu n’ayant commencé dans le temps. Les barlaamistes, eux, considèrent les orthodoxes comme des dithéistes et des polythéistes, nom que nous donnent aussi les Juifs, les Ariens et les Sabelliens. Mais nous, rejetant les uns et les autres, comme athées et polythéistes, nous les déclarons tout à fait exclus du plérôme des pieux fidèles, ainsi que l’a fait, par la voix du Tome synodal de la Sainte Montagne, la Sainte Eglise catholique et apostolique du Christ ; et nous gardons notre foi en une Divinité une, tri-hypostatique et toute-puissante, qui ne perd aucunement son Unité et sa Simplicité par le fait des Forces ou des Hypostases.

En outre, nous attendons la résurrection des morts et la vie éternelle dans le siècle à venir. Amen.
 

Homélie Pascale


Christ est ressuscité !

Chers frères et sœurs, le Seigneur nous révèle aujourd’hui, par Son insondable Bonté, la Fêtes des fêtes et le Triomphe des triomphes.

Il nous a associé au triomphe angélique dans les cieux, au triomphe de l’Eglise terrestre et de l’Eglise céleste, au triomphe qui a empli l’humanité, ayant appris la victoire de la vie éternelle sur la mort et la réunion de la terre avec le ciel.

Quelle louange pouvons-nous Lui offrir en ce jour ?

Il nous a fait renaître, Lui, notre Bienfaiteur, à la vie nouvelle, par le Don de Son Amour pour sa créature, par le Don de Son Fils Unique, né avant tous les temps.

Quelle gratitude pouvons-nous Lui exprimer en ce jour ?

La Sainte Eglise appelle Ses enfants, tout au début de l’office pascal, à prendre exemple sur les Anges et les suivre dans leur chant : Ta Résurrection, ô Christ Sauveur, les Anges la chantent dans les cieux, et fais que nous aussi, sur terre, nous puissions Te glorifier d’un cœur pur.

Comme ce chant des Anges aux cieux retentit avec gloire sur terre !

Quant aux paroles « et fais que nous aussi », elles nous élèvent, par la Grâce de Dieu, vers ce chant angélique jusqu’à nous fondre avec lui.

Comment révéler à Dieu un cœur pur, afin que nos chants se confondent réellement avec ceux des Anges ?

Nous savons, d’après l’Apôtre Paul, que ne trouveront grâce devant Dieu ni les idolâtres, ni les impudiques, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs… (1 Cor, 6, 9). Aussi, reconnaissons devant Lui notre profond état de pécheurs, lavons de nos larmes nos péchés et, par Sa grâce, d’un cœur pur, élevons jusqu’aux Anges notre chant triomphal : Ô jour de la Résurrection ! Pénétrons-nous de la lumière !

En même temps, souvenons-nous, frères et sœurs, de nos proches qui ne peuvent se réjouir avec nous en ces moments lumineux. Souvenons-nous de nos malades, des vieilles personnes et de tous ceux qui, pour une raison ou une autre, n’ont pu partager avec nous la Joie de la Résurrection du Christ, et prions pour eux, afin que le Seigneur visite leur cœur et les invite à fêter Son Triomphe avec Lui.

Souvenons-nous, frères et sœurs, de nos proches défunts et de tous les paroissiens défunts de cette sainte église, car ce Triomphe est aussi leur Triomphe, car le Christ Ressuscité est descendu aux enfers pour annoncer à nos ancêtres qui y étaient enfermés la Victoire de la vie sur la mort.

Souvenons-nous aussi, frères et sœurs, de la Sainte Russie souffrante, blessée dans les profondeurs, arrosée du sang de millions de martyrs pour le Christ, hissé sur son Golgotha. Prions pour tout son peuple, pour les croyants et pour ceux qui ont perdu la foi, pour tous nos parents proches et lointains. Nous savons combien le Tombeau de la Résurrection est proche du Golgotha. Aussi, élevons vers le Seigneur nos espérances pour la Résurrection de la Sainte Russie, et afin qu’à nouveau retentisse sur cette terre l’ensemble de ses cloches et s’élève un puissant chant de gloire : Ta Résurrection, ô Christ Sauveur, les Anges la chantent dans les cieux, et fais que nous aussi, sur terre, nous puissions Te glorifier d’un cœur pur.

CHRIST EST RESSUSCITE ! EN VERITE IL EST RESSUSCITE !

Archiprêtre B. Joukoff, Pâque 1998 (Reproduit du livre Sermons Orthodoxes, L’Age d’Homme, 2009, p.70-71.


LA GLOIRE DE LA MATIERE par Alexandre Kalomiros


LA GLOIRE DE LA MATIERE
 Alexandre Kalomiros


La gloire de la Divinité est aussi appelée gloire du Corps… le Corps Saint du Christ a toujours participé à la gloire divine, car dans l’union parfaite selon l’Hypostase, Il a été parfaitement comblé de la gloire invisible de la Divinité ; la gloire du Verbe et celle de la chair sont une seule et même gloire.
Homélie sur la Transfiguration saint Jean Damascène



Nous n’avons pas appris à être des meurtriers du corps, mais des passions. Abbas Poemène.



Les hommes qui ont pris l’habitude de penser en philosophe, ont de la peine à penser en chrétiens, et cela parce que la pensée philosophique est claire et ordonnée, logique et exacte comme les mathématiques. La religion, elle, elle parle une autre langue, la langue du Mystère qui ne cherche pas à expliquer l’inexplicable, ni à limiter, dans le cadre étouffant d’un mot, des significations que les anges eux-mêmes, quelquefois, ne comprennent pas.



Dans la Sainte Ecriture, on voit le même mot signifier des choses différentes, et des termes différents, signifier divers aspects d’une même chose. Nous rencontrons des phrases contradictoires qui cachent des significations et qui étonnent ceux qui les saisissent. On a beau fouiller la Sainte Ecriture, on n’y trouve nulle part un quelconque développement systématique d’idées.



Tout cela déplait à la pensée humaine, qui ne cherche que ce qui peut entrer dans son propre moule. C’est pour cette raison, que les hommes n’ont jamais laissé l’Evangile tel qu’il est, qu’ils ont toujours voulu le systématiser et, ce faisant, ont rempli le monde de systèmes chrétiens, classifiés, à la mesure humaine. Ils ont emprunté à la philosophie des systèmes à leur goût que l’Evangile leur refusait.



Ce ne sont pas les Pères ni les Saints qui ont fait cela, mais les savants, les intellectuels, les sages de ce siècle, qui n’ayant pas la sainteté, ont mis à sa place, pour être remarqués du monde, la manie d’écrire et de parler beaucoup, et ont ainsi bourré la tête des hommes de véritables équations religieuses, au point que l’arbre touffu de la religion, plein de mystère et de vie, a fini par apparaître comme un poteau télégraphique. Cette falsification de la religion, a produit une conception étroite du corps et de l’âme et de leur valeur dans la création de Dieu.



Les philosophes ont leurs définitions. Quand ils parlent du corps, ils définissent ce qu’il est. Leur définition est exacte et claire, totalement compréhensible ; même chose quand ils parlent de l’âme ; ils savent toujours ce qu’ils veulent dire avec chaque mot. Et c’est là leur faiblesse, car ni la création ni le Créateur ne consentent à être tels que les philosophes les voudraient.



Les philosophes disent que l’homme est composé de deux éléments ; du corps et de l’âme. Corps + Ame = Homme. C + A = H ; voilà une fort belle équation. Quoi de plus clair que cela. Mais si nous lisons la Sainte Ecriture, nous découvrons qu’elle ne comprend pas très bien les mathématiques et qu’elle nous déroute, alors que nous pensons avoir bien posé une belle équation. Là où elle parle de corps et de l’âme et nous comble de joie pour notre équation C + A = H, voilà qu’elle commence à nous parler de l’esprit. Alors qu’on s’apprête à modifier notre équation et la poser autrement : C + A + E = H, nous tombons sur une phrase comme celle-ci : « ET LE VERBE S’EST FAIT CHAIR », et à nouveau tout est renversé, sens dessus-dessous. Et notre équation doit être reposée comme suit : C = H.



Dieu n’aime pas l’algèbre en religion et nous devons admettre cela, une fois pour toutes. Dieu n’aime pas l’élucidation philosophique, même pour ses plus simples créatures, quoique les savants pensent le contraire : comment l’acceptera-t-il pour l’homme, pour Lui-même ? Plus les formulations scientifiques sont claires, plus elles paraissent tout expliquer, elles ne trompent pas moins notre pensée, parce que le monde dans sa plus simple molécule est beaucoup plus mystérieux que le pensent les sages, qui jamais ne peuvent pénétrer les causes des êtres.



Si vous aviez renoncé à l’Algèbre, vous n’auriez pas été scandalisé par la phrase : « le chrétien orthodoxe est matérialiste ». Oui, il est matérialiste et, en même temps l’homme le plus spirituel. D’un côté il vénère les icones et communie au Corps et au Sang de Dieu, de l’autre, il contemple Dieu "Face à Face". Si vous aviez proscrit les philosophes antiques, vous n’auriez jamais pu écrire : « NOUS ACCEPTONS L’ADOPTION, QUI NOUS DELIVRE DU CORPS ». L’Apôtre Paul écrit « REDEMPTION DU CORPS » et non « ETRE DELIVRE DU CORPS ». Non, Dieu n’a pas fait une mauvaise création de laquelle il serait ensuite venu nous délivrer. Les créatures de Dieu sont "très bonnes". Si vous aviez moins estimé les mathématiques, vous ne m’auriez pas envoyé une liste d’équations faites du Nouveau Testament, où "le corps apparait opposé à l’esprit ". Car s’il s’agissait d’équations, je pourrais, moi aussi, en trouver autant dans la Sainte Ecriture, qui prouveraient tout le contraire.



Le premier passage de l’Ecriture que vous m’indiquez –l’entretien du Christ avec Nicodème- ne révèle aucune contradiction entre le corps et l’esprit de l’homme.



« Ce qui est né de la chair est chair (c’est-à-dire l’homme non encore renouvelé par la Grâce du Saint-Esprit), et ce qui né de l’Esprit (l’Esprit Saint) est esprit. » (Cf. Jn. 3 : 6). Ce passage nous montre la différence entre l’homme sans le Christ et l’homme en Christ.



Le Seigneur a bien dit, comme vous l’écrivez : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien » (Cf. Jn 6 : 63), cependant, avant de prononcer ces paroles, Il en dit d’autres qui sont redoutables : « je suis le Pain vivant descendu du ciel. Celui qui mangera de ce Pain, vivra éternellement. Et le Pain que je donnerai, c’est ma CHAIR, que je donnerai pour la vie du monde ». « Celui qui mange ma CHAIR et qui boit mon SANG, demeure en Moi et Moi en lui » (Jn 6 : 51,56).



Comment, pourrons-nous, après ces paroles du Christ, mépriser la chair ?



Un autre exemple, susceptible de nous égarer dans nos conclusions, c’est une parole de la Sainte Ecriture, empruntée à la première Epitre aux Corinthiens, que vous citez séparée de son contexte : « La chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu » (1 Cor.15 : 50). Cette citation séparée du contexte, semble nier la Résurrection des corps, alors que l’Apôtre Paul, dans cette partie de son Epitre, parle justement de la Résurrection des corps, « …Le corps semé psychique=animal, (corps psychique, quelle expression changeante, inconstante, variable pour les mathématiciens) ressuscite corps spirituel… Tous nous serons changés en un instant, en un clin d’œil… La trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles, et nous nous serons changés. Car il faut que ce corps mortel revête l’immortalité… (I Cor. 15 : 44 ; 51-53).



L’Apôtre dit que notre chair corruptible et nôtre sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu, s’ils ne revêtent pas l’immortalité. Si donc la chair corruptible doit être revêtue d’immortalité c’est qu’elle n’est pas méprisable, ni condamnable, ni mauvaise.



La parole qui suit, au lieu de démontrer que j’ai tort en disant que le mal n’est pas la chair mais bien la pensée charnelle, prouve au contraire, que j’ai raison. « La pensée de la chair c’est la mort, la pensée de l’esprit c’est la vie et la paix » (Rom. 8 : 6).



Un peu avant, l’Apôtre écrit : « Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon chair mais selon l’esprit » (Cf. Rom. 8 : 1).



C’est donc le mode de vie de l’homme qui n’est plus que chair et mauvais, et non la chair elle-même. Car s’il en était ainsi, comment l’Apôtre aurait-il pu écrire plus bas, que le Christ «a condamné le péché dans la chair» (Rom. 8 : 3) ? Si la chair était péché, Dieu en se faisant chair serait devenu pécheur ! Loin de nous un tel blasphème. Si par le mot chair l’Apôtre entendait le corps, comment aurait-il pu dire plus bas, à des hommes qui avaient un corps : « Pour vous, vous ne vivez pas selon la chair mais selon l’esprit » (Rom. 8 : 9).



Je pense avoir encore raison, en affirmant que le mal n’est pas la chair, c’est-à-dire le corps, la matière (laquelle sera délivrée de la servitude à la corruption), mais la pensée, l’affection charnelle, la vie selon la chair, comme si nous n’étions que chair, sans aucun rapport avec l’Esprit. Car comme l’Apôtre le dit à nouveau, le corps est incapable de pécher, quand le Christ habite en nous. « Si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l’esprit est vie à cause de la justice. Et si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, habite en nous, Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts rendra la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Rom. 8, 10-11).



On arrive à la même conclusion, quand on voit comment les Pères ont commenté le passage que vous citez : « la chair a des désirs contraires à ceux de l’esprit, et l’esprit en a de contraires à ceux de la chair. » (Gal. 5, 17).



Ici, l’Apôtre appelle chair la pensée charnelle adonnée aux choses charnelles et matérielles, qui entraînent l’âme avec elles, et il appelle esprit, la pensée spirituelle adonnée aux choses spirituelles, élevées et divines. Ces deux pensées ont des désirs contraires qui se combattent, l’une entraînant en bas le corps et l’âme, l’autre unissant l’âme et le corps.



Dans le verset précédent, le même Apôtre explique ce qu’il a voulu dire : « Marchez selon l’esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair » (Gal.5 : 16).



Il s’agit donc bien des désirs de la chair, de l’affection pour les choses charnelles et matérielles, chez l’homme déchu où la corruption s’est hypertrophiée, par opposition à la pensée spirituelle adonnée aux choses élevées, spirituelles et divines. Le désir de la chair a été donné à l’homme par Dieu. Dieu nous a faits pour avoir faim, soif, désirer la femme, etc… Toutes ces choses sont naturelles et ne peuvent nuire à l’homme quand elles demeurent dans les limites de leur affectation. Elles deviennent dangereuses, quand l’âme est vide, quand elle n’est pas remplie de la présence de Dieu, quand elle remplit son vide de plaisirs corporels. Si la place destinée à Dieu dans le cœur est occupée par les plaisirs de la chair, le cœur ne peut alors accueillir Dieu et l’avoir comme hôte. Voilà comment la chair désire contre l’esprit et l’esprit contre la chair. « Misérable que je suis ! -s’écrie l’Apôtre. Qui me délivrera de ce corps de la mort ? Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur. » (Cf. Rom. 7 : 24-25).Voilà, diront les païens triomphants, voilà que l’Apôtre demande à être délivré de son corps. L’Apôtre qui a prêché la Résurrection des corps, demande-t-il vraiment à être délivré de son corps ? L’Apôtre qui a dit : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine, vaine aussi notre foi… vous êtes encore dans vos péchés, et par conséquent ceux qui sont morts en Christ sont perdus. Si c’est en cette vie seulement que nous espérons en Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. Et nous, pourquoi sommes-nous en toute heure en périls ?... Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons, car demain nous mourrons… quelques-uns, ne connaissent pas Dieu, je le dis à votre honte… » (1 Cor. 15: 14, 17-19, 32-34).



L’Apôtre ne dit pas : c’est sans importance si les corps ne ressuscitent pas, pourvu que les âmes vivent dans les cieux, mais il dit fort clairement : « Si les morts ne ressuscitent pas, ceux qui sont mort en Christ sont perdus. » (1Cor. 15: 16, 18).



Et qu’entend-il, quand il dit : « Qui me délivrera de ce corps de la mort ? » (Rom. 7: 24).



Pour les chrétiens, la mort n’est pas quelque chose de naturel, elle n’est pas une création de Dieu ni une punition imposée par Dieu aux hommes, à cause de la désobéissance d’Adam, mais une conséquence de l’abîme creusé entre Dieu et l’homme, par l’attitude d’Adam face à Dieu, quand Adam sur le conseil du Diable, voulut devenir Dieu par ses propres forces. En se séparant de la Vie, l’homme comme une proie entre les mains du diable, s’est livré à la mort. Voilà le corps de la mort, le corps de la corruption, le corps qui doit mourir, en réalité déjà mort.



« Qui me délivrera de ce corps de la mort ? »



Qui donc, si ce n’est Celui qui va vaincre la mort, qui ressuscitera des morts, qui portera dans le monde, d’En-Haut, un corps incorruptible et immortel ? Qui, si ce n’est le Christ ?



« Je rends donc grâces à Dieu, par Jésus-Christ notre Seigneur. » (Rom. 7: 25)



Tous ce que les philosophes hellènes ont pu dire sur les âmes comme entités se suffisant à elles-mêmes et immortelles par nature, a été rejeté et désavoué par l’Eglise.



« Christ est ressuscité des morts, par la mort il a vaincu la mort, et à ceux qui étaient dans les tombeaux, il a donné la Vie ».



Ils étaient dans les tombeaux, mais ils n’avaient pas la vie. La vie le Christ la leur donne par sa Résurrection. Les philosophes hellènes qui croyaient que le corps était une prison pour l’âme, ne pouvaient accepter la prédication de la Résurrection, que l’Apôtre Paul leur fit entendre à l’Aréopage. Qu’auraient-ils fait de la Résurrection, eux qui croyaient que l’âme libérée de son corps vivait heureuse dans l’autre monde. Pourquoi l’emprisonner à nouveau dans le corps ? –Nous t’entendrons, à nouveau, une autre fois à ce sujet !



Non, la mort, tant pour les hébreux que pour les chrétiens, ne nous délivre pas du poids de la matière ; elle est une catastrophe redoutable et lamentable de la création de Dieu ! La vie en enfer n’est pas meilleure que la vie sur la terre, elle ne peut même pas être appelée vie. C’est pourquoi le peuple de l’antique Hellade, qui instinctivement pleurait les morts qui se trouvaient dans les Tartares de l’Enfer, où la lumière du jour ne pénétrait jamais, où la chaleur du soleil ne réchauffait pas les ombres, savait plus que ses philosophes à l’esprit subtil.



La mort a donc été la force du diable, qui a fait de nous, des jouets dociles entre ses mains. La mort s’est dressée devant nous terrible, implacable héraut de notre néant. Elle a été le fouet redouté, qui nous a fait courir comme des chevaux emballés, nous débattant sur les chemins sans issue. Elle a été l’âme de nos œuvres, notre force motrice, la cause qui a fait naître en nous l’amour de la gloire et d’orgueil. Nous avons taché de trouver dans la gloire, dans nos descendants, dans nos œuvres, l’immortalité perdue. Nous avons vécu dans l’étourdissement, dans un rêve actif, créant autour de nous un monde fugitif où notre tragique est oublié. Dans la gloire, la richesse et le plaisir, nous avons cherché le sentiment illusoire de l’existence. Nous avons cultivé la science acquise prématurément, pour en faire le fondement de notre valeur. Nous avons proclamé que l’homme était une valeur par lui-même, qu’il était une partie de l’essence divine (âme immortelle par nature et non par la Grâce) et qu’il n’avait pas besoin de Dieu. Nous l’avons dressé devant nous comme une idole et nous l’avons servi comme un dieu. Nous avons divinisé sa forme et ses caractéristiques, ses vertus et ses passions (les douze dieux hellénique). Nous avons cru qu’il pouvait se libérer par ses propres forces et se parfaire seul. Nous l’avons sacré mesure de toute chose. Nous avons divinisé sa raison, son cœur, ses instincts. La civilisation hellénique classique, s’est surtout fondée sur la raison, et la religion comme la philosophie de l’Extrême-Orient sur l’expérience et la force de l’homme, l’une et l’autre exclusivement fondées sur l’homme. L’homme avait l’illusion d’être libre, alors qu’en réalité il était esclave. Esclave de ses passions, esclave de la fatalité, de la corruption, de la mort, et par elles, esclave soumis au diable.



Voilà donc le sens des paroles de l’Apôtre : « C’est par un seul homme que le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et que la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous les hommes ont péché. » (Rom.5 :12) !



« Par l’envie du diable, la mort est entrée dans le monde » (Sag.2 :24). C’est ainsi que les hommes sont tombés dans le péché, poussés par la crainte de la mort ; « par la crainte de la mort, ils étaient toute leur vie retenus dans la servitude. » (Heb.2 :15).



Le Christ donc, n’est pas venu dans le monde, pour nous délivrer de nos corps, pour nous délivrer de la matière, pas plus qu’Il n’est venu pour nous délivrer de sa création. Au contraire, Il est venu délivrer sa création matérielle. Voilà pourquoi la Pâque est la plus grande fête des Orthodoxes, ce jour ayant été celui de l’achèvement de la Mission du Seigneur sur la terre. Ce jour-là, le diable s’est lamenté, en voyant détruit son empire sur les hommes. Ce jour-là, les Tartares de l’Enfer ont vu la Lumières, et les âmes des Justes ont été ramenées à la vie et transférées au Paradis, où elles attendent leur résurrection totale qui aura lieu lors du Second Avènement du Seigneur.



« Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes, les puissances, les dominations de ce monde de ténèbres » (Eph.6 :12).



Ce n’est donc pas la chair et le sang que nous combattons, mais le diable. J’insiste sur tout cela, parce que je crois que rien n’est plus important, pour celui qui combat, que de connaître son ennemi. Tous ceux qui croient –et ils sont nombreux- que le mal que nous devons combattre c’est le corps et la matière, frappent Dieu, dans cette lutte, au lieu de frapper le diable. Les chrétiens ignorent de quoi le Seigneur est venu les délivrer ! En analysant la pensée du grand nombre, on découvre que tous croient que le Christ est venu nous délivrer de la Justice de Dieu et de sa création. Y a-t-il plus grand blasphème ?



Je persiste à proclamer -et je ne suis pas hérétique- que la chair et la matière sont la porte du salut. Saint Athanase le Grand dit que « la nature humaine assumée par le Verbe fait Homme, a été la première et avant les autres, à être sauvée et délivrée, parce que devenue le Corps du Verbe même ».



Puis nous aussi avec elle, avons été délivrés, à cause de la parenté de la chair et sauvés comme concorporels à Lui ; « coordonnés et liés ensemble à Lui par l’identité de la chair, nous avons acquis l’incorruptibilité, l’immortalité et la déification » (Contre les Ariens).



La chair n’est donc pas méprisable, comme le veulent et le croient ceux qui philosophent. La signification de la chair, dans la Sainte Ecriture, cache un grand mystère, le Mystère de toute la nature humaine.



« Il nous a tous portés, en sa propre chair, et tous nous sommes en Lui. » (Saint Cyrille d’Alexandrie)



« Il a assumé l’homme total, et Il s’est tout entier et totalement uni à lui, afin de la sauver tout entier. Ce qui n’est pas assumé demeure non guéri. » (Saint Jean Damascène).



La nature humaine est une et indivisible, comme la nature de Dieu, même si les hommes forment une immense multitude, même, comme s’ils le pensent, ils sont indépendants les uns des autres. La chute d’Adam a apporté la mort et la corruption, non seulement à sa personne, mais aussi à toute la nature humaine. Adam est devenu corruptible, et avec lui tous les hommes sont devenus mortels à cause de l’identité de la nature. Les hommes n’ont pas péché dans la nature d’Adam, pas plus qu’ils n’ont été punis pour la culpabilité insensée d’un péché commis sans leur consentement, mais pour avoir hérité d’Adam une nature corrompue et la mort, ils ont été asservis au diable et soumis au péché. Comme Adam a transmis sa propre corruption à toute la nature humaine, de même le Christ a transmis sa propre incorruptibilité à tout le genre humain.



« La nature est une, unie en elle –même ; unité indivisible, elle ne peut augmenter par aucune addition, ni diminuer par aucune soustraction. Elle est une, même si elle apparait en une multitude, non morcelable, permanente et totale, non divisée, en chacun de ceux qui y participent… On peut dire qu’il n’y a qu’un seul homme, bien que dans la nature ils apparaissent innombrables… Les statères d’or sont nombreux, mais l’or est un ; de même innombrables sont les individus porteurs de la nature humaine, tels que Pierre, Jacques et Jean, mais en eux tous, il n’y a qu’un seul homme. » (saint Grégoire de Nysse, Il n’y pas trois Dieux).



Le Verbe s’est fait chair et les hommes sont devenus participants de la nature divine (2 Pierre 1 : 4). Voyez-vous le rôle de la chair ? Voilà pourquoi je dis et je répète –même si cela doit scandaliser- que par l’Incarnation du Christ, Dieu et la création se sont unis sans confusion, et que depuis, chaque pierre est une partie du Corps de Dieu, parce que la chair humaine est terre et que chacun de ses éléments est un élément de l’univers. C’est pourquoi nous n’attendons pas seulement la résurrection des morts, mais aussi la résurrection de la création, « une nouvelle terre, de nouveaux cieux » (2 Pierre 3 : 13). Et cela n’est pas, comme vous le craignez, du panthéisme. Mes parole sont claire : Dieu et la création ne sont unis sont confusions. Les Pères sont formels. Comme le fer est embrassé par le feu, l’homme est déifié « par sa participation à la Lumière Divine et non pas par un transfert dans l’essence divine. » (st Jean Damascène). Dieu « devient homme vraiment, pour faire de nous des dieux par la Grâce. » (st Maxime le Confesseur à Thalassios)



Donc le corps et la chair, dans la Sainte Ecriture et les Pères, signifient souvent la totalité de la nature humaine. « Le Seigneur se revêt de la chair et se fait homme, afin que par cette chair, le Verbe nous déifie, nous assume et nous donne la Vie éternelle » (st Athanase Sur l'incarnation du Verbe). D’ailleurs l’Eglise est Corps du Christ et notre appartenance au Corps du Christ, nous rend dignes de l’effusion du Saint-Esprit.



Notre religion n’est pas celle des Philosophes, mais la religion du Mystères ; elle ne cherche pas à expliquer l’inexplicable, qui d’ailleurs n’a pas besoin d’être expliqué. Elle parle de la chair, de l’âme, du corps, de l’esprit, sans les analyser et sans les définir. Seuls les philosophes prétendent savoir ce qu’est l’esprit, ce qu’est la matière, ce qu’est la chair, ce qu’est l’âme. Pour les chrétiens tout cela est mystère, des expressions sur la nature humaine une et indivisible, des expressions nécessaires, pour que la pensée puisse saisir certains états de l’homme ; par exemple le terme "âme " désigne ce qui demeure après la mort, et celui de "corps ", ce qui se décompose après la mort –bien que ce qui se décompose ne soit pas le corps vivant mais le corps mort-, et ces expressions deviennent dangereuses quand nous leur donnons un sens absolu, quand nous voulons y inclure tout le mystère de l’homme, et comprendre à la manière des philosophes, l’âme et le corps. En philosophant, nous ne pourrons jamais pénétrer le mystère de la Révélation Divine. Comment expliquer, avec la théorie des philosophes, les paroles de l’Eglise : « Toi qui a formé de terre l’essence des mortels », et aussi celles-ci : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière », ou encore : « Tu as honoré de ton image, ô Verbe, la créature de tes mains, tu as peint, dans la forme matérielle, la ressemblance de l’essence spirituelle », ou encore la cime sur laquelle les Pères élèvent la chair, « la gloire de la Divinité est appelée aussi gloire du corps… le corps saint du Christ a toujours participé à la gloire divine, car sans la sublime union, selon l’Hypostase, il a été parfaitement comblé de la gloire invisible de la divinité ; la gloire du Verbe et celle de la chair sont une seule et même gloire. » (saint Jean Damascène Homélie sur la Transfiguration).



Vous voulez m’arrêter sur une voie qui, selon vos craintes, risque de me conduire au panthéisme. Ce qui m’impressionne, c’est de vous voir scandalisé, par des choses qui forment cependant, la base même sur laquelle notre Eglise fonde la vénération des Icônes. Que la Grâce de Dieu sanctifie la création matérielle, je ne vois pas en quoi cela peut scandaliser un orthodoxe. Seuls les Franks et les Protestants n’acceptent pas que Dieu soit en contact direct avec sa création. Mais pour nous orthodoxes, cela est la vérité et le centre de notre vie spirituelle. Les Pères n’ont pas été seuls à enseigner et à lutter pour fortifier ces vérités, l’Eglise aussi s’est prononcée, conciliairement, à l’époque de saint Grégoire Palamas (†1359). La Grâce de Dieu, qui arrose la création, n’est pas une créature, comme l’enseignent les occidentaux pour éviter le panthéisme et pensent en philosophes. La Grâce de Dieu est une Energie Incréée de Dieu. Dieu tend sa main à ses créatures et attend qu’on lui tende la nôtre, pour nous tirer à Lui et nous faire siens. Cela n’est pas du panthéisme, parce que ce n’est pas Dieu en son Essence qui communique avec ses créatures, mais son Energie.



« Celui qui m’aime garde mes paroles, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui et ferons notre demeure en lui » (Jn. 14 : 23).



« Ne savez-vous pas que vos corps sont les temples du Saint-Esprit qui est en vous » (1 Cor. 6 : 19).



Dieu ne se confond pas avec sa création, pas plus qu’il ne se tient loin d’elle. Il vit en ses saints, et leur dispense si efficacement son Energie, que même après leur mort, leur os et leurs corps font des miracles, et leurs icones, faites de bois, font également des miracles. Voilà la force du Dieu des chrétiens, et son amour pour nous qui sommes des ingrats !




…Je n’exagère pas en parlant ainsi. Je ne fais que souligner, tout simplement, des vérités oubliées. Si quelqu’un est surpris, cela sera dû à sa formation philosophique hellénistique et non à la tradition patristique orthodoxe. Vous dites que l’équation C + A = H. (corps, âme, esprit = homme) rappelle une certaine composition tripartite ; elle la rappelle fort bien et c’est à elle que je pensais en écrivant. C’est exactement cette erreur que j’ai dénoncée aux rationalistes, qu’ils ne peuvent pas formuler des équations et se dire en même temps orthodoxes. Philosophes sont ceux qui parlent de bipartisme et tripartisme. Bipartisme, tripartisme, monopartisme, synthétisme, avec le sens qu’ils donnent à ces termes, ne sont pas des concepts patristiques, mais des concepts philosophiques. L’homme ne peut être décrit par des équations, surtout par celle des rationalistes en théologie. La création de l’homme est "redoutable, difficilement explicable, un secret et un grand mystère de Dieu…"