Les bases de la foi ecclésiologique orthodoxe


Le trait essentiel de l'Orthodoxie est, qu'elle unit ses fidèles dans une fois à laquelle JAMAIS rien n'a été ajouté, dont rien n'a JAMAIS été retranché, dans laquelle JAMAIS rien n'a été modifié, et qui est identiquement et absolument la même, telle qu'elle fut prêchée par les premiers disciples du Christ.

Notre coup d’œil devra donc être une synthèse, -non pas de l’Orthodoxie comme d’une branche quelconque du christianisme,- mais du christianisme lui-même, dont l’expression, selon la compréhension orthodoxe, se trouve être l’Eglise, la Sainte Eglise, non pas seulement comme motif de crédibilité, mais comme objet même de la foi. Ce qui veut dire qu’elle n’est pas du tout une construction déterminée par une question de droit, mais par la simple présence d’un FAIT. Ceci est caractéristique pour la compréhension orthodoxe.

L’Occident ne voit dans la chrétienté orthodoxe que « des églises », conception qui entraîne des erreurs immenses. Nous venons ici pour tâcher de vous faire saisir ce quelque chose que l’esprit occidental n’a pas aperçu, ce point vital qui est l’essence même de l’Eglise Une et Indivisible selon la conception orthodoxe. C’est l’Eglise Une et Entière, sans distinction de races et de nationalités, l’Eglise dans son UNIVERSALITE, que nous allons tâcher ici de rendre accessible à votre compréhension.



LA TRADITION DANS L'EGLISE ANCIENNE 5/9



Saint Athanase et le «But de la Foi»


Au Quatrième siècle, la situation resta inchangée. La polémique avec les ariens fut de nouveau centrée, au moins dans sa phase initiale, sur la question de l’exégèse. Les ariens et leurs partisans avaient rassemblé un impressionnant dossier de textes scripturaires à l’appui de leur position doctrinale. Ils voulaient restreindre la discussion théologique au seul terrain biblique. Il fallait donc, avant toute chose, les affronter sur ce terrain et répondre à leurs prétentions. De plus, leur méthode exégétique, la manière dont ils utilisaient le texte, ressemblait beaucoup à celle des hérétiques des siècles précédents. Ils se servaient d’un choix de citations à l’appui de leurs dires, sans beaucoup se soucier du contexte général de la Révélation. Il était impératif, pour les orthodoxes, d’en appeler à la conscience de l’Eglise, à la «Foi» transmise une fois pour toutes et fidèlement conservée depuis. Tels furent le premier souci et la méthode ordinaire de saint Athanase.

Les ariens citaient divers passages de l’Ecriture pour étayer leur allégation, que le Sauveur était une créature. En réponse, saint Athanase invoquait la «règle de la foi». C’est son argument le plus courant. « Nous qui connaissons le but de la foi (ton skopon tês pisteos), rétablissons le vrai sens (orthèn tèn dianoian) de ce qu’ils ont faussement interprété ». (Contre les Ariens, 3, 35).

Saint Athanase soutenait que l’interprétation « correcte » de tel ou tel passage n’était possible qu’en se plaçant dans la perspective d’ensemble de la foi. « Le texte évangélique qu’ils allèguent maintenant, ils l’expliquent dans un sens arbitraire, comme nous le découvrirons si nous prenons en considération le but de la foi qui est la nôtre, à nous les chrétiens (ton skopon tês kath’hemâs toùs Christianoùs pisteos), et si nous lisons l’Ecriture en faisant de ce but notre règle (ton skopon hosper canoni chresamenoi)» (Ibid., 3, 28).
D'autre part, on doit aussi se montrer très attentif au contexte immédiat et à l'enchaînement dans lequel chaque phrase ou expression particulière est enchâssée, et il faut déterminer avec soin l'intention précise de l'auteur (Ibid., 1, 54).
Dans une lettre à l'évêque Sérapion, relative au Saint Esprit, saint Athanase revient sur cette accusation, que les ariens négligent ou ignorent volontairement «le but de la Divine Ecriture» -mè eidontes ton skopon tês Theias Graphês [27]. Le mot skopos, dans la langue de saint Athanase, désigne à peu près la même chose que le terme d'hypothesis normalement utilisé par saint Irénée : l'idée sous-jacente, le vrai propos, le sens que vise le texte [28]. Par ailleurs ce mot de skopos était un terme courant du vocabulaire exégétique de certaines écoles philosophiques, notamment celles du néo-platonisme. Dans l'effort philosophique de l'époque, l'exégèse jouait un grand rôle, et la question d'un principe herméneutique devait être soulevée. Jamblique, entre autres, avait été explicite sur ce point. Il fallait découvrir le «point principal», le thème fondamental de l'ensemble du traité soumis à l'examen et toujours garder ce thème présent à l'esprit [29].

Saint Athanase peut très bien avoir été familiarisé avec l'usage technique du terme de skopos. Il soutenait qu'il était fallacieux de citer des passages et des textes isolés, en négligeant l'intention générale de la Sainte Ecriture. Il serait évidemment inexact de voir dans le skopos athanasien simplement «le sens général» de l'Ecriture. Le «but» de la foi, ou de l'Ecriture, est précisément leur contenu central de foi, lequel est présenté en condensé dans la «règle de foi», telle qu'elle a été maintenue dans l'Eglise, et transmise de «pères en pères», au lieu que les ariens «n'ont pas de pères» pour garantir leurs opinions [30]. Comme l'a justement observé le cardinal Newman, saint Athanase considérait la «règle de foi» comme un ultime «principe d'interprétation», opposant le «sens ecclésial» (tèn ekklesiastikèn dianoian, C. Arian. 1, 44) aux «opinions personnelles» des hérétiques [31].

A tout instant, saint Athanase, examinant les arguments des ariens, reprend sous forme de résumé les points fondamentaux de la foi chrétienne, avant d'entrer dans la discussion proprement dite des citations de l'Ecriture invoquées par l'adversaire, et cela afin de replacer les textes dans leur juste perspective. Voici comment H.E.W. Turner décrit ce procédé exégétique de saint Athanase [32] :

Contre la technique favorite des ariens, consistant à forcer le sens grammatical d'un texte sans s'occuper ni du contexte immédiat ni, plus largement, du cadre de référence dans lequel il s'insère à l'intérieur de l'enseignement biblique pris comme un tout, saint Athanase insiste sur la nécessité de prendre le sens global de la foi de l'Eglise comme Canon d'interprétation. Les ariens sont aveugles à la portée la plus large de la théologie de la Bible, et c'est pourquoi ils ne parviennent pas à tenir suffisamment compte du contexte dans lequel leurs citations sont prises. Le sens de l'Ecriture doit lui-même être considéré comme Ecriture. Certains ont pensé qu'il s'agissait là d'un abandon virtuel de l'appel aux Ecritures, au profit de l'argument de la Tradition. Il est certain que, dans des mains plus négligentes, il aurait pu conduire à mettre une camisole de force à la Bible, comme avaient tenté de le faire les dogmatismes arien et gnostique. Mais telle n'était sûrement pas l'intention de saint Athanase lui-même. Cet argument représente à ses yeux, un appel à revenir d'une exégèse ivre à une exégèse sobre, d'une myopie grammaticale scrutant fixement la lettre, à une intelligence de l'intention (skopos, charaktèr) de la Bible.

Le Professeur Turner exagère toutefois, semble-t-il, le danger. L'argument reste, en effet, strictement fondé sur l'Ecriture, et saint Athanase admet le principe de la pleine suffisance de l'Ecriture, sacrée et inspirée, pour la défense de la vérité [33]. La seule chose, c'est que l'Ecriture doit être interprétée dans le contexte de la tradition vivante de la foi, sous le contrôle ou la direction de la «règle de foi». Toutefois, cette règle n'était, en aucun cas, une autorité «étrangère» qu'on aurait pu «imposer» de l'extérieur à la Sainte Ecriture. Elle était bien la «prédication des Apôtres» qu'on trouvait, noir sur blanc, dans les livres du Nouveau Testament, mais elle la transmettait, pour ainsi dire, en abrégé.

Saint Athanase écrit à l'évêque Sérapion : «Considérons depuis le tout premier commencement cette tradition, doctrine et foi de l'Eglise catholique que le Seigneur a donnée (édoken), que les Apôtres ont prêchée (ekéruxan), et que les Pères ont gardée (ephulaxan). C'est sur elle que l'Eglise est fondée [34]». Ce passage caractérise au mieux la méthode de saint Athanase. Les trois termes de la phrase répondent à la même réalité : paradosis [tradition] venue du Christ Lui-même, didaskalia [enseignement] prodiguée par les Apôtres, et pistis [foi] reçue par l'Eglise catholique. Et tel est le fondement (themélion) de l'Eglise -un seul et unique fondement [35]. L'Ecriture même paraît faire partie de cette «Tradition» qui l'englobe et la dépasse, et qui vient, telle quelle, du Seigneur.

Dans la conclusion de sa première épître à Sérapion, saint Athanase revient une fois encore sur ce sujet. «En accord avec la foi apostolique que les Pères nous ont transmise par tradition, j'ai reproduit la tradition, sans rien inventer d'étranger à elle. Ce que j'ai appris, je l'ai inscrit (enecharaxa), en conformité avec les Saintes Ecritures [36]». Une fois même, saint Athanase parle de l'Ecriture en l'appelant une paradosis [tradition] apostolique [37]. Il est caractéristique que, dans toute la dispute avec les ariens, ne se trouve pas une seule référence à de quelconques «traditions» au pluriel. Le seul terme employé est toujours «Tradition», au singulier : il s'agit, bien sûr, de la Tradition, la Tradition apostolique, embrassant le contenu total et intégral de la «prédication» apostolique, et résumée dans la «règle de foi». L'unité et la solidarité de cette Tradition formaient le principe et le point crucial de toute l'argumentation orthodoxe.






[27] Ad. Serap., 2, 7. Cf. Ad episc. Eg., 4 : Tà legomena monon skopôn, kai mè tèn dianoian theorôn, «prêtant attention aux seules expressions, et non à la pensée» du texte.

[28] Voir Guido Müller, Lexicon Athanasianum, s. v. : Id quod quis docendo, scribendo, credendo intendit.

[29] Voir Karl Prächter, «Richtungen und Schulen im Neuplatonismus», Genethliakon - Carl Roberts zum 8. März 1910, Berlin 1910. Prächter traduit skopos par Zeitpunkt ou Grundthema (p. 128 sqq). Il qualifie la méthode de Jamblique de universalistische Exegese (p. 138). Proclus, dans son Commentaire du Timée, oppose Porphyre à Jamblique : le premier interprétait les textes d'une manière plus ponctuelle (merikoteron), tandis que le second le faisait epoptikoteron, c'est-à-dire en prenant une vue compréhensive ou synthétique : In Tim., I, p. 204, 24 sqq, cité par Prächter, p. 136.

[30] Saint Athanase, De Decr., 27.

[31] Select Treatises of St Athanasius, freely translated by J.H. Cardinal Newman, vol. 2, eighth impression 1900, p. 250-252.

[32] H.E.W. Turner, The Pattern of Christian Truth, London 1954, p. 193-194.

[33] Contra Gentes, 1.

[34] Ad Serap., 1, 28.

[35] C.R.B. Shapland a suggéré avec justesse que le themélion dont parle ce texte était, pour saint Athanase, précisément, le triple Nom, tel qu'il est invoqué au cours du saint Baptême. En effet, saint Athanase cite un peu plus loin, dans le même paragraphe de sa lettre, la recommandation faite à ce sujet par le Seigneur, en l'introduisant de la sorte : le Seigneur «leur ordonna [aux Apôtres] de poser ce fondement pour l'Eglise, en disant... Les Apôtres partirent, et enseignèrent ainsi». The Letters of Saint Athanasius concerning the Holy Spirit, translated with Introduction and Notes by C.R.B. Shapland, London 1951, p. 152, n.2 (sur p. 134).

[36] Ibid., 33.

[37]. Ad Adelph., 6.




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