Les bases de la foi ecclésiologique orthodoxe


Le trait essentiel de l'Orthodoxie est, qu'elle unit ses fidèles dans une fois à laquelle JAMAIS rien n'a été ajouté, dont rien n'a JAMAIS été retranché, dans laquelle JAMAIS rien n'a été modifié, et qui est identiquement et absolument la même, telle qu'elle fut prêchée par les premiers disciples du Christ.

Notre coup d’œil devra donc être une synthèse, -non pas de l’Orthodoxie comme d’une branche quelconque du christianisme,- mais du christianisme lui-même, dont l’expression, selon la compréhension orthodoxe, se trouve être l’Eglise, la Sainte Eglise, non pas seulement comme motif de crédibilité, mais comme objet même de la foi. Ce qui veut dire qu’elle n’est pas du tout une construction déterminée par une question de droit, mais par la simple présence d’un FAIT. Ceci est caractéristique pour la compréhension orthodoxe.

L’Occident ne voit dans la chrétienté orthodoxe que « des églises », conception qui entraîne des erreurs immenses. Nous venons ici pour tâcher de vous faire saisir ce quelque chose que l’esprit occidental n’a pas aperçu, ce point vital qui est l’essence même de l’Eglise Une et Indivisible selon la conception orthodoxe. C’est l’Eglise Une et Entière, sans distinction de races et de nationalités, l’Eglise dans son UNIVERSALITE, que nous allons tâcher ici de rendre accessible à votre compréhension.



L’ECCLESIOLOGIE ORTHODOXE par le père Michel Azkoul






L’ECCLESIOLOGIE ORTHODOXE

INTRODUCTION



On ne saurait en aucun cas définir l’Eglise Orthodoxe en lui appliquant le qualificatif d’"orientale". Du seul point de vue historique, l’Eglise de Dieu a toujours été universelle, c’est-à-dire, susceptible de s’adapter à toutes les cultures. Comme la grande Ville du passé antique et médiéval, Constantinople, l’Orthodoxie a été et demeure la porte qui mène de l’Orient à l’Occident, de l’Occident à l’Orient, du Septentrion au Midi, et du Midi au Septentrion.


Elle a conservé toutes les valeurs culturelles qu’elle trouvait utiles, que ce fût dans le monde romain, l’hellénisme, le judaïsme, chez les Perses, les Slaves ou les Africains. L’Orthodoxie est la religion de saint Patrick et de saint Alban, de saint Anschar et saint Weneslaus, de saint Hilaire de Poitiers et saint Paulin de Nole, de saint Basile le Grand et saint Athanase d’Alexandrie, de saint Isaac et de saint Ephrem, de saint Cyprien et de saint Moïse l’Ethiopien, de saint Nil Sorsky et de saint Pierre l’Aleu.


L’Orthodoxie est la Foi universelle, la Foi du ciel et de la terre. Ceux qui lui sont étrangers ne peuvent pas la comprendre véritablement, quoi qu’ils puissent trouver d’attirant en elle. Car, comme le dit saint Hilaire de Poitiers, « la propriété caractéristique de l’Eglise est qu’elle ne devient compréhensible que lorsqu’on l’adopte » (Sur la Trinité, 8,4). On ne saurait l’étudier comme aucune autre institution historique, quelle qu’elle soit, ni comme aucune autre version du christianisme. Elle dépasse de beaucoup ce qui est observable du point de vue de la vie ou de la pensée, car, comme Son Seigneur, elle demeure dans deux royaumes –le céleste et le terrestre.

Il n’est donc pas vain de consacrer un volume entier de cet ouvrage à la doctrine de l’Eglise (l’ecclésiologie), surtout en cette ère d’œcuménisme, où la conception traditionnelle de l’Eglise perd du terrain au profit d’une idée "syncrétiste " ou relativiste du christianisme. . Le commandement donné par le Christ en vue d’une Eglise universelle, se trouve subtilement subverti et remplacé par l’espoir d’une religion mondiale, incluant non seulement toutes les hérésies, mais encore toutes les perceptions du temps et de l’éternité que l’homme ait jamais connues. Cette nouvelle synthèse religieuse, ce processus d’assimilation et, donc, de nivellement, déploie ses efforts pour éliminer jusqu’à la plus petite notion de l’Orthodoxie comprise comme la religion voulue par Dieu pour le salut du genre humain. Du point de vue contemporain, toutes les religions humaines acquièrent une validité du moment qu’elles se trouvent incluses dans la nouvelle vision de Dieu et de l’Histoire. Cette crise ecclésiologique moderne nous incite à réaffirmer l’enseignement inaltérable que la Sainte Eglise Orthodoxe professe sur Elle-même. Certes, le mystère de l’Eglise échappe à toute conceptualisation systématique ; mais nous pouvons néanmoins offrir au lecteur l’enseignement des Ecritures et des Pères de l’Eglise sur ce sujet. De la sorte, le Peuple de Dieu sera à même de voir clairement la différence qui sépare l’Eglise révélée par le Sauveur de la "Tour de Babel" artificiellement édifiée par l’homme d’après la chute. Peut-être aussi ces chapitres aiderons-t-ils ceux qui se trouvent hors de l’enceinte divino-humaine de l’Eglise à découvrir la lumière salvatrice de l’Orthodoxie.



CHAPITRE 1

« Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation : il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême… » Ephésiens 7, 4.




L’Eglise Orthodoxe n’est pas une "branche", un "aspect", une "secte", une "dénomination", un "culte" ; elle n’est pas une "religion nationale", ni une "Eglise" parmi d’autres, ni même "l’Eglise la plus véritable ". Elle est l’Eglise du Dieu vivant, l’Eglise Une et unique établie par le Seigneur Jésus pour le salut du genre humain. Elle est le Peuple du Nouveau Testament (Nouvelle Alliance), le « nouvel Israël », « race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple acquis par Dieu » (1 Pierre 2, 9). Elle est l’accomplissement de ce dont Noé et l’Arche étaient la figure, le « Fils » de Dieu, la Fiancée du Christ, l’Epouse de Yahweh, la « nouvelle Eve », « la Femme enveloppée du soleil, ayant la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles » (Ap. 12,1), selon les mots de saint André de Césarée [1]. Elle est la « cité céleste » (Phi. 3,20), « la nouvelle Jérusalem » (Heb. 12, 22-23 ; Gal. 4,26), « le Royaume de Dieu » (Ap. 1,6), « le tabernacle de Dieu avec les hommes » (Ap. 21,3), « le Corps du Christ » (1 Cor. 12), « la Cité de Dieu » et « le siècle à venir » (saint Jean Chrysostome).

L’Eglise Orthodoxe est l’Eglise contre laquelle « les portes de l’Enfer ne prévaudront pas » (Mt. 16,18), « la maison de Dieu, l’Eglise du Dieu vivant, la colonne et l’appui de la vérité » (Tm. 3,15), « édifiée sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus Christ Lui-même étant la pierre angulaire », « temple saint,…demeure du Saint Esprit » (Eph. 2,20-22). Elle appartient de fait à un autre âge, et ses enfants sont « les fils de l’Adam céleste, une race d’enfants engendrés dans le Saint Esprit », comme le dit saint Macaire le Grand, « frères lumineux du Christ, tout comme leur Père, l’Adam céleste et lumineux. Etant de cette cité, de cette parenté, de cette puissance, ils ne sont pas de ce monde présent… » [2]

L’Eglise dite "Eglise Orthodoxe d’Orient" est en vérité l’Eglise Universelle (Catholique), hors de laquelle il n’est point de grâce salvatrice. Il est hors de doute qu’elle a toujours eu cette conscience d’elle-même, quelle que soit l’attitude actuelle de beaucoup de ceux qui se prétendent ses fils et ses filles. Il y a un seul Seigneur, et, en conséquence, une seul foi et un seul baptême par lesquels toute créature rationnelle existant sur cette terre peut entrer dans l’Eglise Une. Les Ecritures et les Pères démontrent unanimement qu’il ne peut y avoir qu’une seule Eglise de Dieu, une seule Eglise au ciel et sur la terre, toujours identique à elle-même, toujours accessible, toujours infaillible. Elle ne se laisse pas diviser en deux parties, d’un côté la vie, de l’autre la pensée ; elle n’enseigne jamais de fausseté, parce qu’elle est divine, ombre de l’éternité dans le temps, temps épousant l’infini.


  Les prémisses du présent ouvrage sont les suivantes : l’Eglise Une existe, elle n’est autre que la Sainte Eglise Orthodoxe.


Avant d’aborder le "grand Mystère de l’Eglise ", nous ferons quelques remarques générales préliminaires.



1. L’Incarnation



La Tradition Apostolique décrit communément l’Incarnation du Seigneur, Dieu devenant homme, dans les simples termes d’ « économie » ou « gouvernement ». Comme nous l’avons vu, l’économie divine est le Plan de Dieu pour le salut de Son Univers. Saint Paul fait référence à « l’économie (du Père) pour la plénitude des temps, afin de réunir toutes choses en Lui (le Christ), celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre » (Eph. 1, 10). L’Apôtre comprend ainsi sa tâche : « mettre en lumière l’économie du mystère caché de tout temps en Dieu qui a créé toutes choses, afin que par l’Eglise la sagesse infiniment variée de Dieu se fasse à présent connaître » (Eph. 3,9). Dans la génération suivante, saint Ignace d’Antioche, disciple de saint Jean le Théologien, s’adresse à l’Eglise d’Ephèse, en ces termes : « Notre Seigneur Jésus Christ a été, selon l’économie de Dieu, le fruit du sein de Marie, de la descendance de David » (Lettre aux Ephésiens, 18). Le même évêque fait précéder ses remarques sur le sacerdoce et l’Eucharistie de la promesse d’une autre lettre aux Ephésiens relative à « l’économie par laquelle on devient l’homme nouveau, Jésus Christ, qui est de la famille de David selon la Passion et Résurrection » (Lettre aux Ephésiens, 20).


En d’autres termes, le mystère du Plan divin était caché de toute éternité, avant la création du monde visible, préexistant comme « cité du Dieu vivant », « Jérusalem céleste », et révélée uniquement par l’économie du Seigneur. Le Christ est Celui qui, seul, unit ce qui est au ciel et ce qui est sur terre, et c’est pourquoi Il est « le seul médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Tim. 2,5). Il a revêtu « chair de l’Eglise », écrit saint Jean Chrysostome, et a ainsi créé un nouvel être ; « rien n’est égal à l’Eglise » (Homélie, Avant son exil, 2).

L’unité de toutes choses en Christ implique le relèvement de la création déchue, sa libération du démon et sa réintégration auprès de son Père. En retour, le Père « a tout mis sous Ses pieds, et Il L’a donné pour chef suprême à l’Eglise, qui est Son corps, la plénitude de Celui qui remplit tout en tous » (Eph. 1, 22-23). L’Eglise, donc, embrasse toutes les choses créées, visibles et invisibles, les hommes mais aussi les anges. Ainsi, saint Grégoire le Grand (le Dialogue) disait : « La sainte Eglise a deux vies : l’une dans le temps et l’autre dans l’éternité » [3].

La destinée de l’Eglise est de réaliser l’unité parfaite de ces deux « vies », comme des deux dimensions en Christ ; de devenir déifiée comme le Christ après Sa Résurrection. L’Eglise, Son Corps, est le commencement de ce processus ; elle mûrit, devenant la plénitude de Celui qui remplit tout. Présentement, dit saint Ambroise, l’Eglise demeure composée des sans péchés qui sont aux cieux et des pécheurs qui sont sur terre, « et pourtant ils sont une seul Eglise » [4]. Cette unité explique tous ses pouvoirs et ses privilèges.


Quoique de façon imparfaite, l’Eglise est dès maintenant le Corps du Christ. Il est Sa Tête, « sans que nul espace ne les sépare » pour parler comme saint Jean Chrysostome [5]. Leur union est si intime, dit ailleurs le même saint, que saint Paul emploie souvent « le terme d’Eglise pour désigner le Christ… Et il nomme le Christ à la place de l’Eglise, indiquant par là qu’Elle est Son Corps » [6] En d’autres termes, le Christ et l’Eglise forment « une seule Personne » -un seul être nouveau (Gal.3,28)- comme l’époux et l’épouse. Quand son union avec le Christ sera parachevée, elle sera « sans tache, ni ride, ni rien de tel », « sainte et irrépréhensible » (Eph. 5,27).

En ce jour, le Huitième Jour, elle deviendra la pure et incorruptible offrande faite au Père par le Fils qui « s’est livré Lui-même » (Eph. 5,25) pour elle, et elle sera digne de la communion du Saint Esprit et de la participation à la Nature divine. Ayant atteint « l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite du Christ » (Eph. 4,13) –étant donc devenue le cosmos transfiguré- l’Eglise alors sera la Cité éternelle de Dieu, Son Royaume à jamais.




2. La Définition de Chalcédoine.

L’ecclésiologie et la christologie sont intimement liées ; elles s’impliquent nécessairement l’une l’autre. Dès les premiers temps de l’Orthodoxie, personne n’a jamais douté que la doctrine de l’Eglise et celle du Christ ne fussent étayées l’une par l’autre. Initialement, toutefois, aucune analyse n’avait isolé ce principe –ni, en conséquence, énoncé la relation entre l’humain et le divin en Christ, et, par là, défini l’Eglise, ses Mystères, le lien de l’âme et du corps, du temps et de l’éternité. Et cela, tout simplement parce qu’aucune hérésie n’avait encore rendu cette tâche nécessaire. Mais enfin, durant le IVème siècle, le Nestorianisme, et, au siècle suivant, le Monophysisme, amenèrent l’Eglise à formuler une définition dogmatique de la relation entre la Divinité et l’Humanité du Seigneur Incarné, et, par voie de conséquence, à préciser la nature de l’Eglise, de ses Mystères et des autres sujets connexes.

Le Concile de Chalcédoine (451), comprenant que la christologie est toujours la clef, le critère et le fil conducteur dans le tissu des dogmes, formula sa célèbre définition christologique des deux nature en Christ (Actes, V) :



Ainsi donc, marchant à la suite des saints Pères, nous enseignons, d’une voix unanime, que l’on doit confesser un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, à la fois parfait dans la Divinité et parfait dans l’Humanité, vraiment Dieu et vraiment Homme, le même composé d’une âme raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon Sa Divinité, et en même temps à nous selon Son humanité ; semblable à nous en toutes choses, à l’exception du péché ; engendré du Père avant les siècle selon Sa Divinité, et dans le temps né de Marie la Vierge, la Théodokos (Mère de Dieu) selon Son Humanité, pour nous et pour notre salut ; UN SEUL ET MEME JESUS CHRIST, FILS, SEIGNEUR, UNIQUE ENGENDRE, EN DEUX NATURES, SANS CONFUSION, SANS CHANGEMENT, SANS DIVISION, SANS SEPARATION, SANS QUE L’UNION OTE LA DIFFERENCE DES NATURES (c’est R.P. Azkoul qui souligne), les propriétés de chacune subsistant et concourant à former une seule personne ou hypostase : en sorte qu’il n’est pas divisé ou séparé en deux personnes, mais que c’est un seul et même Fils Unique, Dieu le Verbe, le Seigneur Jésus Christ ; comme les Prophètes de jadis l’ont dit de Lui, comme Notre Seigneur Jésus Christ l’a Lui-même enseigné, et comme la foi des Pères nous l’a transmis.





Appliqué à l’Eglise, cette formule affirme sa nature divino-humaine : elle est véritablement humaine parce que le Christ est Dieu, et véritablement humaine parce que le Christ fut homme « né d’une femme, né sous la loi » (Gal. 4,4). Mieux, l’Eglise est fondamentalement divine, dans l’exacte mesure où il n’y a en Christ qu’une seule Hypostase, l’Hypostase divine.

Elle est « une seule et même Eglise en deux natures »… son aspect invisible, noétique et céleste comprend la Trinité, la Mère de Dieu déifiée, les anges et les saints ; tandis que son aspect visible, rationnel et terrestre inclut tous les membres de la Sainte Eglise Orthodoxe. Ces deux aspects, ces deux dimensions sont unis « sans confusion, sans division, sans séparation, sans que l’union ôte la différence des natures, les propriétés de chacune subsistant et concourant à former » une seule Eglise.

L’Eglise est ainsi le point où le Ciel et la terre se rencontrent ; et nulle part leur conjonction n’est plus parfaite que dans la Divine Liturgie. C’est alors que Dieu et ceux qui L’entourent célèbrent avec Ses enfants qui sont sur terre la réalisation du grand mystère de Son économie. C’est alors que, pour un bref espace de temps, le futur devient présent, le Royaume de Dieu advient sur la terre. Naturellement, tous les Mystères, dans la mesure où ils sont ordonnés à l’Eucharistie comme à leur fin suprême, sont divino-humains. Les rites visibles de l’Eglise ne sont pas seulement pleins de beauté et riches de toute une pédagogie, ils reproduisent le monde divin qu’ils présupposent comme leur type indispensable.


Mais l’Eglise et ses Mystères ne sont pas les seules réalités analogues au Christ ; l’homme et la Nature, créés par le Christ en vue de l’Eglise, sont aussi de telles analogies, comme l’écrit, au Ier siècle, le Pasteur d’Hermas (1, 1,6). Certes, en l’homme, tout est créé, le corps et l’âme semblablement ; mais ce sont là deux aspects d’une seule créature ; de la même façon, l’univers matériel qui entoure l’homme reste lié au royaume spirituel ou noétique dont il dépend : le matériel et le spirituel se tiennent liés comme les deux natures du Christ. Comme le dit saint Maxime le Confesseur : « Le cosmos tout entier est une figure et une image de la Sainte Eglise de Dieu, composé (comme elle) d’essences visibles et invisibles et comportant comme elle unité et diversité » [7]

Enfin, la correspondance entre le visible et l’invisible, « entre ce qui est phénomène et ce qui ne l’est pas » selon les mots de saint Maxime le Confesseur, n’est pas, répétons-le, un simple parallélisme. Platon avait tort de penser que le temps imite l’éternité mais n’a pas de lien avec elle. Ils sont, comme le dit saint Denys dans sa Lettre IX, « entrelacés ». Certes, leur union n’est pas encore parfait, et ne le sera qu’après le Jugement et la transfiguration ultime de tout l’ordre créé, lorsque, comme le disait un jour saint Jean de Kronstadt, « l’éternité absorbera le temps comme une éponge ». Néanmoins, le Christ a de manière visible, et pour toujours, comblé le fossé entre le temps et l’éternité.




3. La foi infaillible.


La foi de l’Eglise Orthodoxe, qu’elle apparaisse sous forme de dogme dans les saintes définitions, de rite dans les Mystères, de représentation imagée dans les icônes, de chant dans l’hymnologie céleste, qu’elle se manifeste dans la loi et les coutumes de l’Eglise, qui en sont la sage expression, ou dans les Ecritures inspirées de Dieu et infaillibles qui la portent gravée en elles, cette foi, au ciel et sur la terre, est infaillible.

L’Eglise visible, l’Eglise historique, ne peut faillir, non seulement parce que le Saint Esprit ne permettra pas que Son Temple soit souillé ; mais encore, parce qu’elle est inséparable du Ciel. En outre, quelle que soit la gloire du Royaume céleste auquel elle est jointe, l’Eglise historique et sacerdotale est le Corps du Christ. Elle est aussi « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14,6), « la même hier, aujourd’hui et éternellement » (Heb. 13,8) et ne peut doc « se laisser entraîner par des doctrines diverses et étrangères » (Heb. 13,9).

Le Seigneur Lui-même a fait don à Son Eglise des dogmes que toute créature doit confesser. Avant Son Ascension vers le Père, Il a commandé à Ses Apôtres : « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. Amen » (Matt. 28, 19-20). Tout ce qu’Il a enseigné aux Apôtres, l’Eglise enseigne aux fidèles de l’observer. Ceux qui ignorent volontairement ou ne demeurent pas dans « la doctrine du Christ, n’ont pas Dieu », alors que ceux qui la reçoivent et sont fidèles « en toutes choses », possèdent le Père, le Fils et le Saint Esprit (2 Jn 9), au Nom duquel nous devons être baptisés.

L’Eglise n’est pas un caméléon, inconstant et versatile, qui changerait pour s’adapter à son environnement. Elle n’enseigne pas une chose à telle génération, et une autre à telle autre, mais persévère toujours « dans l’enseignement et la communion fraternelle des Apôtres » (Actes 2,42). «Elle reste attachée à la vraie parole» telle qu’elle a été enseignée, «afin d’être capable d’exhorter selon la saine doctrine et de réfuter les contradicteurs» (Tit. 1,9). Elle «applique la doctrine du Christ en toute chose» (Tit. 2,10). Nulle part dans sa vie elle ne permet «quoi que ce soit de contraire à la saine doctrine» (Eph. 4,14). Elle n’a de cesse d’exhorter ses enfants à ne pas adhérer à des opinions «contraires à l’enseignement que vous avez reçu» (Rom. 16,17).


Ainsi, nous disons que l’Eglise ne peut faillir –malgré les errances éventuelles de ceux qui lui appartiennent- parce qu’elle est « la colonne et le fondement de la vérité ». C’est par la volonté de Dieu qu’Elle est ce qu’Elle est. Il n’est pas d’autre voie qui mène au salut, ni d’autre doctrine que celle que Dieu lui a commandé d’enseigner. S’il y avait plus d’une Eglise, il y aurait aussi plusieurs vérités salvatrices, plusieurs Seigneurs, plusieurs baptêmes. L’idée d’une division de l’Eglise est tout aussi impossible, car, en ce cas, le Christ Lui-même serait divisé. Nous le répétons : s’il y avait plus d’une Eglise ou si l’Eglise Une était fragmentée, il s’en suivrait, ou bien que l’Eglise céleste connaîtrait elle aussi la division –absurdité manifeste- ou bien que l’Eglise, dans sa dimension terrestre, se trouverait radicalement séparée d’avec l’Eglise du Ciel. De fait, certains hétérodoxes pensent effectivement que les dénominations terrestres sont sans rapport aucun avec la véritable Eglise invisible ; mais cet expédient déforme totalement la réalité ; ou, dans le langage de la christologie traditionnelle, il introduit une division nestorienne entre la Divinité et l’humanité du Christ. Dans cette perspective, qu’a donc "assumé " le Christ ? Comment sommes-nous déifiés ? Et que peut bien valoir alors l’Incarnation ?


En outre, s’il était possible d’admettre l’existence de nombreuses Eglises, alors c’est ou Dieu ou l’homme qui serait responsable de multiplicité. Or, ce qui fait qu’il existe diverses Eglises, ce sont les divergences doctrinales ; nous devrions donc croire aussi que Dieu ou l’homme est cause –non sans l’aide prêtée par le démon- de doctrines qui se combattent. Si c’est Dieu, Il est alors "l’auteur de la confusion " –ce qui est le comble de l’ineptie- et le responsable de l’absence d’unité qui règne dans l’Eglise (Heb. 6,18). Si l’homme, d’autre part, est capable de diviser l’Eglise que Dieu a voulu Une, alors, Dieu est sans force, impuissant à préserver l’unité qu’Il a donnée à l’Eglise et à garantir sa vérité de la contradiction. Ou encore Il est, sinon impuissant, du moins indifférent aux paroles du Christ : « Qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,22) ; ce qui veut dire : qu’ils aient non pas simplement une unité d’organisation, mais une unité surnaturelle de l’être et de l’esprit. Enfin, toujours dans cette hypothèse, Dieu aurait permis que la Vérité révélée fût souillée et profanée par "la ruse des hommes, par leurs artifices trompeurs" : Dieu serait donc injuste et sans pitié.

Abordons ce problème sous un autre angle. Admettons que l’unité de l’Eglise terrestre repose sur l’unité d’une doctrine de base –par exemple, l’idée que le Christ est Dieu- et non dans l’unité organique, canonique et dogmatique de l’Eglise. Supposons également que cette vérité salvatrice se trouve disséminée dans la multitude des diverses Eglises et groupes chrétiens. Qu’arrive-t-il alors ?

Premièrement, ni les Ecritures, ni les Pères ne reconnaissent l’existence de multiples Eglises : l’Eglise est une, parce que, comme le dit saint Cyprien de Carthage, « Dieu est un, et le Christ est un… et la foi est une, et un seul peuple est assemblé dans l’unité substantielle d’un corps maintenu par la concorde ».
  En second lieu, la Foi infaillible répandue parmi les nombreuses Eglises peut rendre compte de la vérité qu’elles possèdent, mais non de leurs erreurs. En outre, si l’erreur se mêle ainsi à la vérité, l’Eglise céleste ne saurait échapper à la contagion de l’erreur, en vertu de l’unité qui lie le Ciel et la terre créés par le Christ.
  
Troisième point : si la constitution de l’Eglise imite celle de la Trinité (voir plus haut), c’est-à-dire l’unité de personnes égales, alors les multiples Eglises doivent être égales, mais elles sont inégales du fait de la multiplicité des erreurs qui les corrompent. De surcroît, elles sont loin de s’accorder sur le contenu de la Révélation du Christ, et sur les additions ou soustractions éventuelles que les hommes y ont apportées ; et les diverses confessions n’enseignent pas identiquement le dépôt qu’elles prétendent avoir en commun avec les autres. Elles ne s’entendent même pas sur la façon de comprendre la nature du Seigneur et sa mission !


Y a-t-il un "contenu doctrinal minimum" qui serait indispensable au salut et peut-on tracer une ligne de démarcation entre ce qui est "essentiel" et ce qui ne l’est pas ? Qu’en est-il de la papauté ? Des Mystères ? De la Mère de Dieu ? Des icônes ? Du sacerdoce ? Sont-ils essentiels, ou inessentiels ? Comment le saurons-nous ? Quand même les Eglises s’accorderaient –ce qui n’est pas le cas- à reconnaître l’existence d’une vérité salvatrice de base, qui en déterminerait le contenu ? Et, à supposer qu’on découvre une manière unique et universelle de le concevoir, comment être certain que Dieu l’agrée ? En cherchant dans la Bible ? Mais dans quelle traduction et quelle interprétation ?

La vérité qui ressort de ces apories, c’est que, sans l’existence d’une Eglise infaillible, dotée d’une Foi infaillible, nous ne pourrions jamais découvrir la vérité qui sauve, celle que Jésus a commandé à ses Apôtres d’enseigner à toutes les nations. Si nous ne pouvons connaître ce qu’il nous faut croire, autant dire qu’il n’y a pour nous aucune vérité révélée et salvatrice, aucun salut d’aucune sorte.

Mais cette Eglise et cette foi existent. Elle est pour toujours en communion avec les cieux, le Saint Esprit demeure en elle, et sa Foi est pure, absolue et accessible à tous, en tout temps et en tout lieu. Hors d’elle, il n’est que doute et incrédulité. Voici comment saint Cyprien s’en explique :
« L’épouse du Christ ne saurait être adultère ; elle est pure et incorruptible. Elle ne connaît qu’une demeure et garde avec chasteté et modestie la sainteté d’une seule couche. Elle nous conserve pour le seigneur. Elle destine au Royaume les fils qu’elle a portées. Quiconque se sépare de l’Eglise s’unit à une prostituée et se trouve privé des promesses de l’Eglise ; celui qui abandonne l’Eglise du Christ ne peut non plus prétendre aux récompenses du Christ. Il est un étranger, un profane, un ennemi. Qui n’a pas l’Eglise pour Mère ne peut plus avoir Dieu pour Père. Si la mort n’a pu être évitée hors de l’Arche de Noé, il n’est possible d’y échapper en dehors de l’Eglise ! »

Les paroles de saint Cyprien sont énergiques, parce qu’il avait la certitude que l’Eglise dont il était membre, l’Eglise Catholique, avait été établie et fondée par Dieu sur une Foi infaillible et salvatrice.

Quoi que l’Eglise enseigne, rien n’y est faux ou inessentiel. Tour ce qu’elle donne à ses enfants est nécessaire à leur salut. Elle ne peut nous égarer, car Dieu la protège. Comme le dit saint Jean Damascène :


« Il est désastreux de penser que l’Eglise ne connaisse pas Dieu tel qu’Il est en réalité ; qu’elle a sombré dans l’idolâtrie ; car, si elle s’écartait de la perfection ne fût-ce que d’un iota, elle souillerait d’une tache sa foi immaculée, et cette seule ride détruirait la beauté du tout. Rien n’est petit, qui conduit au grand ; et ce n’est pas un léger crime que d’abandonner le moindre des détails de la tradition ancienne de l’Eglise, car cette tradition a été défendue par tous ceux qui furent appelés avant nous, dont nous devons admirer la conduite et imiter la foi ».

Il est clair que saint Jean Damascène songe ici à l’Eglise historique ou visible, mais non au sens où elle serait séparée du Ciel. L’Eglise n’est pas une créature du temps ; elle est plus que cela. Elle est, comme le disait saint Jean Chrysostome avant lui, la manifestation d’une vie divino-humaine.

« L’Eglise n’a pas de pieds… ne parlez pas de murailles… les murs s’effritent avec le temps, mais l’Eglise ne vieillit jamais. Les murailles croulent sous les coups des barbares, mais contre l’Eglise les démons ne peuvent prévaloir… Voyez les ennemis de l’Eglise, qui l’ont assaillie. Ils se sont évanouis, alors que l’Eglise plane au-dessus des cieux. Telle est la puissance de l’Eglise : attaquée, elle l’emporte ; éprouvée, elle triomphe ; maltraitée, elle prospère ; blessée, elle guérit ; ballotée par les ondes, elle flotte sur les eaux ; elle lutte et n’est jamais soumise ; elle combat et n’est jamais vaincue… Ne reste pas à l’écart de l’Eglise, car rien n’est plus fort qu’elle. L’Eglise est votre espérance, votre salut, votre refuge. Elle est plus haute que les cieux, plus vaste que la terre. Elle ignore la faiblesse, elle ne connait que la vigueur. C’est pourquoi l’Ecriture, pour indiquer sa solidité et sa stabilité, l’appelle «montagne» ; pour monter sa pureté, elle la nomme «vierge» ; elle la dit «reine» à cause de sa majesté et «fille» dans sa relation à Dieu… Oui, elle possède beaucoup de noms, tout comme le Maître de l’Eglise en possède un grand nombre… »

Les parole de saint Jean Chrysostome sont, bien au-delà de la poésie, la vérité même. L’Eglise «nous donne la victoire», la victoire sur les démons, la souffrance, sur toute adversité, parce qu’elle partage la vie de Son Maître.

L’Eglise ignore l’erreur (infaillibilité) comme la chute (indéfectibilité) et la séparation d’avec le Christ, car elle est «une seule chair» avec Lui. Pourtant, humaine aussi bien que divine, elle peut parfois donner l’impression d’être dans l’erreur ou dans l’infidélité. Hommes et événements peuvent, pour un temps, ternir son éclat. Il arrive parfois que « l’Eglise, à l’instar de la lune, semble perdre de sa lumière, écrit saint Ambroise, mais elle ne perd jamais sa lumière ». Dans le même esprit, le philosophe russe Khomiakov affirme que, malgré les péchés de ses membres, l’Eglise ne peut être privée de l’esprit de vérité. « Il ne peut pas y avoir eu un temps où elle ait admis l’erreur en son sein… ».

Khomiakov ne faisait que rappeler la Lettre Encyclique des Patriarches d’Orient (1848), qui énonce, aux chapitres 12 et 20 :




« Gardons fermement la confession que nous avons reçue intacte d’aussi grands hommes, fuyant toute innovation comme un suggestion du malin. Celui qui accepte l’innovation accuse d’insuffisance la Foi Orthodoxe qui a été prêchée. Mais cette Foi a été marquée du sceau de la perfection, et n’est plus susceptible ni de diminution, ni d’augmentation, ni d’altération d’aucune sorte ; et quiconque ose exécuter, ou suggérer, ou concevoir un pareil acte a d’ores et déjà renié la Foi du Christ et s’est déjà soumis volontairement à l’anathème éternel comme blasphémateur du Saint Esprit… »

Et les Patriarches d’ajouter plus loin dans l’Encyclique :

 « Quand nous disons que les enseignements de l’Eglise sont infaillibles, nous n’affirmons rien d’autre que ceci : qu’ils sont inchangés, identiques à ceux qui furent donnés au commencement : ce sont les enseignements de Dieu ».




La foi infaillible de l’Eglise est inaltérable. Le malin n’a pas le pouvoir de lui ravir sa «chasteté». Sa doctrine et sa piété sont parfaites, qu’elles soient vues comme la gloire et la fierté de l’Eglise céleste, ou dans la pratique de l’Eglise terrestre. A l’encontre de l’ecclésiologie protestant, qui aime à affirmer que "l’Eglise doit sans cesse être réformée" (ecclesia est semper reformanda), nous confessons que l’Eglise n’est pas susceptible de réformation (ecclesia irreformabilis est). « Jamais l’Eglise n’est défigurée, dit Khomiakov, jamais elle n’a besoin de réformation ».

S’il se trouve des "exceptions" apparente à cette règle, elles sont dues à l’imperfection des membres terrestres de l’Eglise, les quels doivent continuellement lutter pour être «saints» (Matt. 5,48) et «sanctifiés dans la vérité» (Jean 17,17), en s’abstenant «des convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme» (1 Pierre 2,11), et se montrant toujours ardents à «affermir leur vocation et leur élection» (2 Pierre 1,10), dans l’amour même (agapê) dont la Trinité s’aime elle-même (Jean 17,26). Ainsi, les membres terrestres de l’Eglise sont constamment en croissance ou en «réformation» spirituelle jusqu’à la perfection.




[1] Commentaire sur l’Apocalypse, PG 106, 320 B.
[2] Homélies Spirituelles, XVI, 8.
[3] Commentaire d’Ezéchiel, II, 10, PL 76, 1060.
[4] Sur les Mystères, 18, 35 et 39.
[5] Homélie sur l’Epitre aux Ephésiens, 3.
[6] Homélie sur la Première Epître aux Corinthiens, 30,1.
[7] Mystagogie, 2.





NB: Nous ne disposons pas d’autres éléments en français sur la Dogmatique du R.P. Michel Azkoul

Quelques Modestes Pensées sur l’Union des Eglises, par A.Kalomiros

Quelques Modestes Pensées sur l’Union des Eglises
par Alexandre Kalomiros





A. LA PAIX SANS LA VERITE

L’expérience tragique de dernières générations, a donné aux hommes une grande soif de paix. Maintenant, la paix est devenue le bien suprême parmi les idéaux pour lesquels les hommes versaient volontiers leur sang autrefois. A ceci, a grandement contribué le fait que la guerre n’était plus ce qu’elle avait été dans le passé, c’est-à-dire un conflit entre la justice et l’injustice et qu’elle est devenue un conflit sans signification justice-injustice. Le mensonge et l’hypocrisie utilisés par l’injustice des diverses parataxes, pour passer, aux yeux de leurs adeptes pour une justice, ont fait que les hommes ont perdu la foi en l’existence de la justice et ne voient plus de valeur digne d’être défendue. Ainsi la guerre, quelle que soit sa forme, apparaît aux hommes, comme quelque chose d’absolument stupide.

Ce manque d’intérêt de l’humanité pour tout conflit, quelle qu’en soit sa nature, serait admirable s’il était le produit d’une santé spirituelle. Si l’injustice, la haine et le mensonge disparaissaient, la paix serait alors le comble du bonheur humain ; l’union serait un résultat naturel et non artificiel. Mais c’est une chose complètement différente que l’on constate. Alors que tous parlent aujourd’hui de paix et d’union, l’amour propre et la haine, l’injustice et le mensonge, l’amour de la gloire et la cupidité atteignent leur point culminant. Tous et chacun à sa manière, parlent d’amour pour l’humanité, et pourtant jamais il n’y a eu d’hypocrisie plus grande que ce soi-disant amour, amour théorique, imaginaire, comme le concept "d’humanité" qui est, lui aussi, théorique et imaginaire, sans rapport avec l’amour pour l’homme concret, que l’on a devant soi. L’amour pour une personne concrète, lorsqu’il existe, est le seul réel. C’est l’amour de notre prochain demandé par le Christ.

L’homme concret, avec ses imperfections et ses faiblesses, au lieu d’être aimé, a été de nos jours haï plus que par le passé ; et il n’a pas seulement été haï mais aussi méprisé, ravale au rang de "chose" sans valeur particulière, de moyen pour atteindre des buts "élevés", de particule de masse. Ceux qui parlent le plus d’amour pour l’homme et pour l’humanité, de paix et d’union, sont ceux qui haïssent le plus leur prochain, leur voisin. Ils aiment l’homme création de leur imagination et pas l’homme concret. Ce culte de l’idole "homme" est, en réalité, du narcissisme, c’est le culte du « moi ».


Il serait naïf de croire que la disposition irénique qui caractérise l’humanité d’aujourd’hui vient de l’amour. Non ! Tout ce qu’on dit sur l’amour est hypocrisie ou imposture. Ce désir de paix vient de la perte des idéaux, de la crainte et de l’amour du bien-être : être tranquilles pour jouir des biens terrestres. C’est l’entente, la coopération pour l’acquisition des biens, que chacun, pris à part, ne pourrait acquérir. C’est l’entente mondiale sur ce qui est devenu la passion de toute la terre : l’amour du plaisir et l’amour de la matière. C’est un produit de nécessité.

La paix dont tout le monde parle aujourd’hui, c’est l’accord sans condition, entre ce qui est bien, honorable et grand et le règne de la petitesse, de la médiocrité et de la tiédeur. C’est la destruction de la personnalité des individus et des peuples. C’est une marmelade de concessions et de calculs, un océan d’hypocrisie, une indifférence envers la Vérité, une trahison de tout ce qui est saint et sacré.

La guerre est quelque chose de terrible, elle est le résultat de la chute de l’homme et personne ne pourra jamais en faire l’éloge ; mais la paix que le monde contemporain négocie est infiniment plus terrible. La fièvre, pourtant désagréable, indique cependant que l’organisme réagit contre le mal qui l’a atteint. La paix que l’on veut inaugurer, n’est malheureusement pas celle qui vient de la victoire sur le mal mais celle qui résulte de la défaite ; c’est l’absence de fièvre chez le cadavre.

Au fond, la paix désirée par les hommes n’est pas seulement la paix des armes, elle est aussi celle de la conscience. Ils veulent que le bien et le mal cohabitent en paix, de même que la justice et l’injustice, la vertu et le péché, la vérité et le mensonge, afin qu’eux aussi soient en paix avec leur conscience.

B. IL N’Y A JAMAIS EU D’ECLATEMENT

Dans l’effort du monde pour la paix, ceux qu’on appelle chrétiens jouent un rôle important. Avec la devise "chrétiens unissez-vous", ils se mettent en route pour le marché où la Vérité sera bradée.

Il fut un temps où les chrétiens croyaient et étaient prêts à mourir pour leur croyance. Aujourd’hui leur zèle pour la Vérité s’est refroidi et ils ont commencé à la considérer comme quelque chose de secondaire. Ils trouvent négligeables et sans importance, les divergences entre les "églises", pour lesquelles les martyrs ont donné leur vie, les Pères ont été bannis et les fidèles décapités.

Malades et incorrigibles, la plupart d’entre eux pensent que la religion du Christ est une déontologie qui concerne les relations humaines ; d’autres poursuivent des objectifs politiques et des intérêts obscurs et construisent, tous ensemble, la cité de l’Antichrist. Indifférents envers la Vérité, ils veulent une union, un rapprochement extérieur, sans tenir compte des divergences internes ; ils s’attachent à la lettre et négligent l’esprit.

Comment peuvent-ils croire que ce qui a échoué aux premiers siècles du schisme va réussir maintenant, alors que les différences de mentalité, le temps passant, sont devenues de fosses qu’elles étaient, des océans.

Le seul fait de parler d’union des églises, révèle une pensée parfaitement antichrétienne. Ils admettent ainsi que l’Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, que nous confessons au crédo de notre foi, a cessé d’exister, qu’elle a éclaté en beaucoup d’églises qui ne sont plus catholique, c’est-à-dire qui ne possèdent plus toute la Vérité et la Grâce, comme les possèdent les Eglises Orthodoxes locales, mais une partie plus ou moins grande. En conséquence, ils admettent que la Vérité n’existe plus sur la terre, que le Christ est venu pour rien. Parce que dans ce mélange de la Vérité et du mensonge, il est impossible de retrouver la Vérité pour laquelle le Christ est venu témoigner, et qu’en conséquence également, il est impossible de retrouver le Christ qui est la Vérité elle-même.

Mais alors pourquoi le Christ a-t-il dit qu’il serait avec nous jusqu’à la fin du monde ? « Et voici je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Pourquoi a-t-il dit que l’Esprit Saint conduirait les disciples dans toute la Vérité et que les portes de l’Enfer ne pourront s’emparer de l’Eglise ?


Si l’Eglise est morcelée –pour que l’union soit nécessaire, il faut qu’elle soit désagrégée- alors tout ce que le Christ a promis est mensonge ! Mais loin de nous un tel blasphème. L’Eglise vit et elle vivra jusqu’à la fin du monde, non morcelable, invulnérable selon la promesse du Seigneur. Tous ceux qui parlent d’UNION DES EGLISES nient tout simplement le Christ et son Eglise.

Quand un Patriarche orthodoxe accepte que l’Eglise Orthodoxe participe au Conseil Œcuménique et Protestant des Eglise, comme une des nombreuses "églises", que fait-il d’autre que de reconnaître, officiellement, comme le font les Protestants, l’existence de beaucoup d’églises et par là l’éclatement de l’Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique ?

Et dans leur effort impie, ces hommes appellent à leur secours des textes liturgiques et le Seigneur lui-même. En effet, le Christ a bien prié pour ses disciples pour « qu’ils soient un » et l’Eglise prie, à chaque liturgie "pour l’union de tous".

Mais cela ne signifie pas que l’Eglise prie pur que les chrétiens s’unissent par des concessions réciproques sur leur foi ; il ne s’agit pas de rechercher des accords conventionnels, selon lesquels divers éléments hétéroclites "s’unissent" ; il n’y a aucun rapport avec les "protocoles" d’accords ou d’unions, qui sont signes après de nombreuses négociations, entre les différents états. Non, ces phrases ne signifient rien de tout cela. L’Eglise prie Dieu, non pas pour l’union de différents éléments hétéroclites, mais pour que tous deviennent UN. C’est-à-dire que tous admettent la Vérité et qu’ils se soumettent avec contrition et humilité à l’Eglise et soient comptés parmi ses membres ; qu’ils comprennent l’erreur dans laquelle ils ont vécu et se pressent vers la lumière et la Vérité, c’est-à-dire l’Eglise. C’est pour cela que l’Eglise prie et tout particulièrement à la liturgie de Basile le Grand : « ramène les égarés et unis-les à ton Eglise Sainte, Catholique et Apostolique ». Voilà la seule UNION que l’Eglise admet et pour laquelle elle prie. Voilà la seule prière, le seul désir qui jaillit du vrai amour ; elle veut guérir les malades et pas les duper.



C. OFFRANDE ET NON DISCUSSION

Certains orthodoxes naïfs pensent que le rapprochement des églises n’a pas pour but l’union, mais celui d’éclairer, d’attirer les hétérodoxes. « Ce sont, disent-ils, des témoignages d’amour envers nos frères ». « Si nous nous enfermons dans notre "carapace", répètent-ils souvent, si nous n’allons pas aux rencontres internationales et si nous n’envoyons pas des observateurs aux conciles papiques, etc… comment les occidentaux connaîtront-ils l’Eglise Orthodoxe et iront-ils à elle ? »


Comment les Occidentaux sauront-ils que l’Eglise Orthodoxe est Une et la Vraie, quand ils la voient fréquenter, d’égales à égales les fausses églises ? Ne vont-ils pas croire qu’elle aussi est relative et partielle comme les autres ? Est-il raisonnable d’espérer que ces "conseils" de fanatiques rasophores pourront reconnaître la Vérité ? Ils ne font que flatter les orthodoxes, et cela pour les attirer à eux. S’ils avaient une réelle nostalgie de l’Orthodoxie et s’ils voulaient la connaître, ils n’auraient pas besoin de CONSEILS et de réunions, ils iraient boire à ses sources, chez ses Pères et ses Saints.

Non ! Le meilleur moyen pour convaincre l’autre de la Vérité, c’est que l’autre croit en elle, qu’il ne la discute pas mais la confesse seulement. Dans les réunions et les conseils la Vérité est discutée. Cela, c’est de la trahison. Car il ne s’agit plus alors de dialogue plus alors de dialogue pour l’instruction des hétérodoxes, mais de discussions avec des "églises". Ce n’est pas des discuteurs que le Christ demande mais des confesseurs. La Vérité qu’il nous a enseignée n’est pas de celles qui se discutent. Dans les divers conseils œcuméniques, la discussion prend la tournure d’un commerce où se font des concessions sur la foi, afin d’aboutir à un accord final. Sous de telles conditions, la seule venue d’un orthodoxe dans un conseil œcuménique revient à trahir le Christ : c’est livrer le Christ aux incroyant pour trente deniers. En y entrant, l’orthodoxe reconnait que sa foi est discutable et laisse entendre que si des contre-parties satisfaisantes lui sont données, il fera, lui aussi, des concessions.

Si tous ceux qui parlent aujourd’hui d’union, confessaient l’Orthodoxie comme Vérité Seule et Absolue et refusaient tout contact officiel et officieux avec les hérétiques, sans craindre de les appeler ainsi, alors leur voix serait entendue de très loin et, ce qui est plus important, elle deviendrait respectable et obligerait à réfléchir. Maintenant sa voix est celle des compromis, la voix qui n’émeut pas, la voix de personne que nul, au fond, ne respecte.


Les Pères ne discutaient pas avec les hérétiques. Ils confessaient la Vérité et réfutaient leurs arguments, sans politesse ni courbette. Jamais ils ne se sont entendus avec les "églises" hérétiques. Le dialogue était toujours public et concernait le salut ou l’édification des âmes. L’Eglise Orthodoxe ne discutait pas avec les "églises" hérétique. Ce n’était pas discussions avec des "églises", mais le dialogue de l’Eglise avec des âmes égarées hors de leur route. L’Eglise ne discute pas, parce qu’elle ne cherche rien. Tout simplement elle donne parce qu’elle possède tout.



D. LE SALUT DU MONDE

Mais pourquoi nos chrétiens se laissent-ils si facilement émouvoir par les appels à l’union des églises au lieu de transvaser avec zèle la Vérité dans ce monde qui en a été privé. Pourquoi sucent-ils le caramel de la paix, usant de balance pour savoir si ce qui sépare est plus lourds que ce qui unit les chrétiens ? C’est qu’ils ont été eux-mêmes privés de la connaissance de la Vérité. Membres, pour la plupart d’entre eux, d’organisations et de confréries socialo-chrétiennes, élevés dès le jeune âge dans un système philosophico-moraliste avec argument chrétien, système qui laisse entendre que l’objectif du christianisme c’est de parvenir à la coexistence pacifique et charitable des hommes. L’éternité et la contemplation de Dieu on été pour ces chrétiens des choses si éloignées et bien indifférentes. Homme d’action, tournés vers l’extérieur, ils sont venus au christianisme pour y trouver un modus vivendi organisé et dirigé, un mode de vie de citoyens bons et respectables sur cette terre. Dieu est pour de tels hommes le Grand Serviteur de leurs intérêts personnels et la vie éternelle une bien bonne mais fort heureusement bien lointaine espérance d’apocatastase.

Chez ces chrétiens, les appels à l’union sont très facilement entendus. Quelle bonne chose, en vérité, que de voir le cercle de nos hommes dignes et respectables, avec lesquels on peut parler sans crainte d’être trompé, avec lesquels on peut avoir des rapports bons et pacifiques, sans jamais risquer d’être persécuté ou d’être obligé de lutter ! Quant à la Vérité, "qu’est-ce que la Vérité ? " Nous croyons tous en Christ et cela suffit. D’ailleurs le monde aujourd’hui se trouve confronté à des temps difficiles…… Les chrétiens doivent s’unir au plus vite, pour faire face au socialisme, par exemple. "Qui va guider, qui va sauver le monde contemporain ? " demandent-ils. "Seule une Eglise chrétienne unie" répondent-ils.


Le Christ ne s’est pas fait Homme pour sauver qui gît dans le mal. Mais pour sauver de ce monde les siens, pour les arracher à la parataxe du malin, pour les unir à lui et les déifier selon la Grâce, et avec eux sauver toute la création qui gémit. Le monde marche sur la voie de la mort. Il est la parataxe du prince de ce monde, la parataxe de l’adversaire de Dieu. "Je ne te prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m’a données. "

Eux prient pour ce monde et sacrifient, pour plaire à cette parataxe diabolique qui ne sera jamais sauvée, les diamants de la foi, de la vie chrétienne. Ce n’est pas le Christ qui veut l’union des "églises" mais le monde. Le Christ ne veut pas de l’union du mensonge avec la Vérité ; c’est le monde qui cherche à altérer la Vérité, à la rendre relative et partielle. Aussi, quand il est question de l’union des "églises", on voit la soutenir avec l’enthousiasme, des hommes qui jamais ne se sont intéressés à la religion. L’union est le meilleur moyen pour neutraliser le christianisme, inventé par la parataxe du diable, le commencement de son effilochage, sa soumission aux volontés de la politique, sa transformation en serviteur des intérêts du monde.

Dans l’union, le christianisme aura, peut-être, plus de force temporelle, mais il perdra sûrement toute sa force spirituelle qui gêne le monde. Cela n’est-il pas déjà arrivé à "l’église papolique " ? La soif chez les papistes d’une puissance temporelle, les a fait descendre sur le champ de courses des sinuosités politiques, d’où ils sont sortis serviteurs des grands courants politiques.

Tous ceux qui parlent d’union n’ont pas compris pourquoi le Christ est venu en ce monde. Ils croient qu’il est venu y faire un prêche moraliste comme le leur ; qu’il est venu pour nous apprendre à vivre sur cette terre en bons citoyens. Ils le tiennent pour un grand législateur, le plus grand peut-être de tous les siècles. Ils disent et répètent que les hommes doivent suivre la loi du Christ, pour que vienne, enfin, le règne de Dieu sur la terre. D’autre parlent de tel "pays orthodoxe", d’autre de "démocratie chrétienne", d’autre encore de "royaumes chrétiens", sans comprendre que leurs attentes ressemblent à celles des Hébreux qui voulaient le Messie roi terrestre. Ils ne veulent pas du Christ tel qu’il est, ils ne veulent pas du Christ qui a repoussé les tentations proposées par le diable au désert. Ils veulent un Christ convoitant les royaumes de la terre ; un Christ qui change les pierres en pain pour rassasier tous les hommes ; un Christ qui étonne le monde par ses prodiges, qui inspire la crainte et oblige les hommes à se soumettre. En d’autres termes, ces homme-là n’attendent pas le Christ mais l’Antichrist. Le Christ restera jusqu’au second avènement humble et caché, loin des pouvoirs terrestres, loin des conforts terrestres, sans jamais obliger quelqu’un à le suivre et demandant à ceux qui s’approchent de lui de lui ressembler dans l’humilité et la pauvreté, sans rien attendre de terrestre.

Les "chrétiens" qui parlent "d’Etat de Dieu", de "Grèce chrétienne", de "Christianisme universel" et "d’union des églises" ne veulent pas d’un tel Christ. Ils ressemblent au Grand Inquisiteur de Dostoievsky, prêts à condamner au bûcher le Christ, parce qu’il renverse les desseins qu’ils préparent avec tant d’application depuis des siècles. "Tu es venu nous enseigner un christianisme inhumain et dur", dit l’Inquisiteur au Christ alors que "nous, depuis tant de siècles, nous nous efforçons d’en faire une religion humaine ; maintenant que nous y sommes parvenus, tu es venu déranger les efforts de tant de siècles ? Mais tu n’y arriveras pas. Demain j’ordonnerai de te brûler comme hérétique. "

Oui, les hommes veulent un Christ qui parle de la vie présente et non de l’autre, un Christ qui offre les biens de cette vie et non ceux de l’autre. Ils ne veulent pas d’une richesse qui ne soit pas palpable et qui ne peut être pesée, mais d’une richesse palpable. Ils ne veulent pas le Christ chef du Siècle Futur mais chef du siècle présent.

Voilà pourquoi ils n’ont cure de ce que deviendra la Vérité quand seront unies toutes les inconstantes "églises chrétiennes", après mille et une confessions, mille et un compromis. Voilà pourquoi ils ne s’occupent pas de ce que deviendra la vie en Christ après, par l’entrée dans le lieu très pur de l’Orthodoxie, de tant et tant de barbares religieux et radoteurs. La vérité ne les intéresse pas, le Christ ne les intéresse pas ni la vie dans la Grâce du Saint-Esprit. Seule les intéresse la force terrestre que leur donne l’union et la cosmocratie sous une seule et unique cosmothéorie.

Ces hommes-là veulent être appelés chrétiens alors qu’ils ne le sont pas. La plupart d’entre eux se croient de vrais chrétiens, alors qu’ils ignorent le christianisme et le confondent avec des idées philosophiques, des cosmothéories, comme ils aiment à dire ! Ils sont en réalité les adeptes de l’Antichrist.

Les Hébreux qui attendaient le Messie depuis des siècles ne l’ont pas reçu quand il est venu, et l’ont pendu sur la Croix. Pourquoi ? Parce que le Christ n’était pas celui qu’ils attendaient, ils n’ont pas reconnu le Messie dans sa personne. Ils attendaient un roi terrestre conquérant du monde, celui qui devait soumettre sous les pieds du peuple Israël toutes les nations du monde, et contraindre les Romains qui dominaient alors le monde à l’adorer, celui qui devait donner à ses adeptes la puissance et la gloire.

Quand ils virent ce pauvre, cet humble, ce doux, ce pacifique qui n’apportait pas de biens terrestres mais parlait des biens célestes et leur demandait même de renoncer aux biens terrestres et palpables, pour arriver libres aux célestes et impalpables, ils comprirent qu’il n’était pas pour eux, qu’il n’était pas le Messie qu’ils attendaient mais tout le contraire. Celui qui a refusé de changer les pierres en pain pour les rassasier, qui a refusé d’étonner les multitudes par sa force et qui n’a pas accepté de soumettre les royaumes de la terre n’était pas le chef qu’il leur fallait. Aussi l’ont-ils crucifié et ils ont commencé à en attendre un autre ; ils l’attendent encore ; et avec eux attendent des millions d’hommes qui dans leur majorité, se croient chrétiens…








UNION – SYMPHONIE – CONCORDE A. Kalomiros


UNION – SYMPHONIE – CONCORDE


Ce qui caractérise aujourd’hui les Orthodoxes qui souffrent de l’hérésie de l’œcuménisme, tout en continuant, cependant, de communier avec, relève d’une mentalité selon laquelle chacun peut vivre son orthodoxie seul. « Peu m’importe qui le prêtre de ma paroisse ou mon évêque commémore aux diptyques, peu m’importe ce que croit celui qui prie à mes côtés à l’Eglise ; ils rendront compte à Dieu pour eux-mêmes. Moi, en tous cas, je suis orthodoxe ». Ce retranchement dans un christianisme individuel, revient à nier l’Eglise, chose difficile à déceler, parce que, dans la pratique, la vie ecclésiastique continue. Ce phénomène a son principe dans l’isolement individualiste qui afflige l’homme sans Dieu de notre époque et qui pulvérise l’essence même de l’Orthodoxie.


On croit pouvoir vivre seul la vie en Christ ! Mais la vie en Christ est une communion de personnes. On va à la synaxe ecclésiastique, on se contente de la célébration liturgique, sans sentir la nécessité de la communion spirituelle avec les frères et les pères qui nous entourent. On sait, pourtant, que ceux qui prient avec nous, sous la même coupole, devant le même iconostase, ne sont orthodoxes que de nom, qu’ils ont, en réalité, une mentalité latinisante, un esprit anti-patristique ou protestantisant, une pensée innovatrice, et tout cela, il faut le dire, les laisse indifférents, ces chrétiens individualistes d’aujourd’hui. Ils ont perdu la conscience vitale que l’Orthodoxie est, avant tout, la communion des âmes dans la Vérité et l’Amour. On voit, phénomène incroyable, des hommes lutter, avec leur parole pure et courageuse, contre le patriarcat de Constantinople pour son hérésie œcuméniste et rester indifférents à l’Eglise au moment où l’évêque commémore le Patriarche, comme si cet évêque faisait là une chose qui ne les concernait pas.


Les Orthodoxes aujourd’hui ont perdu le sens de la cohésion et de l’harmonie ecclésiastique, la vérité que "l’Eglise est le nom de l’Union, de la Symphonie=Accord, de la Concorde", comme le dit fort bien saint Jean Chrysostome, que l’Eglise signifie assemblée de personnes ayant la même pensée, intérieurement unies entre elles par la foi commune et non par une union trompeuse, par une soumission commune à une quelconque autorité ecclésiastique où couveraient l’éclatement intérieur, la dissonance, le "quant à moi" individualiste. Ils vont à l’église la conscience en paix, dans une "église" dont ils savent et reconnaissent qu’elle a perdu la cohésion, la symphonie=accord et la concorde, sans se demander quelle sorte d’Eglise c’est là, si vraiment elle mérite ce nom. Ils se contentent des impressions que donnent les apparences, des "murs", de la "hauteur" de l’édifice, des pasteurs, des évêques, des ornements et des chants, des images, de l’administration, de l’organisation, et ferment les yeux devant l’absence de la Vérité et de la Symphonie.

Mais les Pères ne nous ont pas enseigné une telle ecclésiologie : éclatement, confusion, mensonge. "L’Eglise, dit Chrysostome, ce n’est pas la hauteur des murs, mais la foi vécue" (P.G. 52, 495). "Ceux qui appartiennent à l’Eglise du Christ, dit saint Grégoire Palamas, appartiennent à la Vérité, et ceux qui ne sont pas dans la Vérité ne sont pas non plus dans l’Eglise du Christ" (Op. vol. 2, p. 627). L’Eglise est une assemblée d’âmes et de corps liés entre eux par la Vérité et l’Amour, autrement dit dans le Christ. Sans la Vérité, l’Amour, la Concorde et la Symphonie, l’assemblée est sans le Christ et, en conséquence, n’est pas l’Eglise.


Où vas-tu donc chrétien, individu parmi des individus ? Pourquoi te laisses-tu tromper par les apparences ? -"Je vais, dis-tu, là où sont les évêques, là où sont les pasteurs". N’as-tu jamais soupçonné que ceux que tu appelles "pasteurs", sans la Vérité qui est le vrai pasteur, ne sont que des pseudo-pasteurs et des "loups sous la peau des brebis" ? N’as-tu jamais pensé qu’ils se moquent de toi tout en se moquant les uns des autres ? Saint Grégoire Palamas écrit d’eux : "…ils mentent en se donnant eux-mêmes le nom de pasteurs et d’archipasteurs sacrés et en se donnant ces noms les uns aux autres. Nous, nous avons appris que le christianisme était caractérisé non par des personnes mais par la Vérité et la rigueur de la foi." (Ibid).


Malgré leur sincérité et leur bonne foi, ces Orthodoxes ne comprennent pas qu’en fréquentant une telle église, ils pratiquent et vivent l’œcuménisme. Car c’est bien cela l’œcuménisme : la symbiose et la coexistence de croyances et de confessions opposées. Les œcuménistes accueillent, avec plaisir, un orthodoxe "fanatique", et le fait qu’il prie et communie avec eux les satisfait. Dans l’œcuménisme comme dans la Maçonnerie qui l’a engendré, toutes les religions et toutes les confessions sont admises à égalité. Dans l’œcuménisme, l’orthodoxe peut se trouver à l’aise aux côtés de l’indifférent, du mondain, de l’ennemi des moines, de l’innovateur, du frank, du protestant, du papiste, du musulman, du bouddhiste et même de l’athée. Toutes les voies sont bonnes, il suffit seulement de ne pas revendiquer l’exclusivité de sa foi. Avec une telle coexistence, l’œcuménisme est conséquent avec lui-même, et remporte un triomphe éclatant. Celui qui n’est pas conséquent avec lui-même et avec sa croyance, c’est bien l’orthodoxe. Cheminer avec cette légion de l’erreur aux formes diverses, n’est-ce pas nier que le Christ est l’Unique Voie ? Et comment peut-on appeler Eglise du Christ cet amas de croyances diverses ?


Puisque nous ne pouvons être chrétiens individuellement, mais seulement comme Eglise, ce qui importe alors, ce n’est pas seulement que notre foi soit vraie, mais que soit également vraie celle de nos frères et de nos pères. L’amas de croyances diverses n’a rien à voir avec l’Eglise du Christ qui est la "colonne et le fondement de la Vérité", comme l’enseigne l’Apôtre Paul. Dans l’Eglise il n’y a qu’une foi : la vraie, la symphonie de tous dans l’orthodoxie et la concorde. Les âmes pieuses et bien disposées et orthodoxes ne sentent-elles pas cela ? Qu’est-ce alors qui les retient dans ce complexe du mensonge ? C’est qu’ils ne savent pas où aller, parce que, malheureusement, aucune Eglise organisée n’offre, aujourd’hui, de garantie de fidélité à l’orthodoxie patristique et vraie, -car, cela va de soi, l’orthodoxie n’est pas seulement l’observation du calendrier liturgique non réformé.


Mais pourquoi les chrétiens éprouvent-ils le besoin intense de se réfugier, à tout prix, dans l’Eglise administrativement bien organisé ?

Cela est dû à l’Histoire qui exerce une grande pression sur notre âme : parce que nous avons connu l’Eglise, au cours des siècles, organisée en patriarcats, en synode, nous l’avons identifiée avec cette organisation, et avons oublié que pendant les hérésies, cette organisation n’existait plus aux yeux des orthodoxes, puisqu’elle devenait même, alors, une arme de la cacodoxie braquée sur eux. Mais aux temps apocalyptiques que nous vivons, nous avons laissé derrière nous l’Histoire et sommes entrés dans l’Eschatologie. Notre survie spirituelle dépend de la prise de conscience de ce fait. Tous nos supports historiques sont maintenant tombés. L’apostasie a transformé les pasteurs en loups et l’Eglise organisée que nous avons connue en troupeau en troupeau de loups et de mort pour les brebis.
Le diable est désormais délié. Pour survivre, nous devons voir l’Eglise dans son essence mystique et mystérielle, dépouillé de son organisation administrative que nous lui avons connue dans l’Histoire. Dans les arènes, les martyres affrontaient nus les bêtes fauves. Nue aussi, l’Eglise militante des derniers temps luttera avec eux, sans synodes, sans patriarcats, sans lien avec les autres Eglises locales, si ce n’est le lien du Christ et celui de leur communion avec l’Eglise triomphante.

Et la question habituelle : « Fort bien, fuyons l’œcuménisme ; mais alors à quelle Eglise nous rattacher ? » ne doit plus se poser maintenant, parce qu’il ne s’agit plus d’aller quelque part, mais de rester dans l’Eglise du Christ, dans l’Eglise des Pères, en rejeter les imitations et demeurer dans la Vérité que nous avons connue dès notre tendre enfance. Désormais nous aurons du mal à reconnaître que l’Eglise c’est ce que l’on nous montre aujourd’hui. Ce refus des mensonges et des imitations, nous le réaliserons là où nous sommes, rompant, tout simplement, toute communion avec l’œcuménisme.

Le premier pas franchi que Dieu attend de nous, le Seigneur viendra à notre rencontre et ouvrira nos yeux incapables, jusqu’ici, de reconnaître le vrai Christ. Et quand nous l’aurons rencontré, nous irons à la hâte chez notre plus proche ami, comme Philippe courut chez Nathanaël et nous l’inviterons à venir voir, lui aussi, -bien qu’il puisse penser que rien de bon ne vient de Nazareth. Ainsi se formera le petit troupeau, la petite Eglise locale. Les vrais Israélites, laïcs, prêtres, évêques iront à la rencontre l’un de l’autre pour venir ensemble au Christ.

Ce processus dramatique mais béni est connu depuis bien des années déjà en Russie. L’Eglise dite des Catacombes n’a aucune ressemblance extérieure avec les Eglises organisées que nous connaissons ; elle ressemble aux Eglises du temps des grandes persécutions. La situation qui règne maintenant en Russie (1989 n.d.l.r.), se généralisera, peu à peu, partout. Quelques évêques orthodoxes, dispersés de par le monde, cachés, inconnus du grand nombre, et quelques prêtres, feront des tournées apostoliques, allant de ville en ville, de paroisse en paroisse, de pays en pays, pour le service spirituel des fidèles, les unissant tous, connus et inconnus, entre eux, par les liens incorruptibles du Corps ressuscité et du Sang du Christ. Ils commémoreront "tout épiscopat orthodoxe" pour ne pas désigner, ouvertement, le vrai évêque le plus proche ou par ignorance du lieu où ce vrai évêque se trouve. L’époque de l’anti-christ approchera de sa cime et le troupeau du Christ ira diminuant. Mais plus l’affliction des jours qui viennent sera grande, plus proche sera le Seigneur. Il nous suffira de rester fidèles jusqu’au bout.


Le navire qui nous a amenés jusqu’ici, la forme organisée, synodale, administrative de l’Eglise a fait naufrage sur les rivages de l’apostasie et se brise sous la violence des vagues, comme jadis cet autre navire sur les rivages de Malte, Actes 27, 28, 6. Mais comme jadis, maintenant encore, aucun des passagers ne sera perdu. Tous les vrais membres de l’Eglise seront sauvés, après avoir abandonnés, deux par deux, trois par trois, le navire condamné, nageant dans de petites paroisses, s’aidant mutuellement, pour aller enfin sur la plage sûre de la nouvelle terre du paradis. N’ayons pas peur du saut dans les vagues sauvage, c’est le saut du salut. Le voyage sur la mer déchaînée prendra fin. Le jour sans crépuscule se lève. Maranatha !

A. Kalomiros (Rizes N. 3)




ECCLESIOLOGIE, par Alexandre Kalomiros




Tout le tapage que l’on fait autour de l’Union des "Eglises", fait apparaître l’ignorance tant des simples fidèles que des "théologiens" sur la nature de l’Eglise.


Ils conçoivent la CATHOLICITE de l’Eglise comme une cohésion juridique, comme une interdépendance régie par un certain droit. Pour eux, l’Eglise est une organisation avec des lois et des règlements, semblable à celle des états. Comme pour les fonctionnaires des états, les évêques y sont classés en supérieurs et en inférieurs : Patriarches, Archevêques, Métropolites, Evêques. Un évêché n'est pas, pour eux, quelque chose d'achevé, mais la partie d'un plus grand tout, l'Eglise autocéphale ou Patriarcat. L’Eglise Autocéphale, elle-même, sent la nécessité d’appartenir à une plus haute autorité. Quand des raisons extérieures, politiques, historiques ou géographiques, empêchent cela, plane alors sur les Eglises Autocéphales le sentiment indéfini d’une union insuffisante ou encore le sentiment de la division.


Une telle conception conduit, directement, au papisme. Si telle est la CATHOLICITE de l’Eglise, alors l’Eglise Orthodoxe est digne de pitié, pour n’avoir pu, jusqu’à présent, se soumettre au Pape.

Mais les choses ne sont pas ainsi. L’Eglise "CATHOLIQUE" que nous confessons, dans le symbole de la foi, n’est pas appelée CATHOLIQUE parce qu’elle réunit tous les chrétiens de la terre, mais parce que chaque fidèle trouve en elle toute la Grâce et le Don gratuit de Dieu. Le sens de la catholicité n’a rien à voir avec celui d’une organisation universelle, comme les papistes la conçoivent avec tous ceux qui sont influencés par leur mentalité.

Certes, l’Eglise est destinée à s’étendre sur toute la terre, indépendamment des pays, des nations, des races et des langues, et ce n’est pas une erreur que de l’appeler, pour cela, CATHOLIQUE. Comme l’humanité est devenue un concept abstrait, de même, l’Eglise, elle aussi, risque de le devenir, quand nous la voyons comme un concept universel abstrait. Pour comprendre ce qu’est l’humanité, il suffit de bien connaître un seul homme, parce que la nature de cet homme-là est commune à tous les hommes de la terre.

De même, pour comprendre ce qu’est l’Eglise CATHOLIQUE du Christ, il suffit de bien connaître une seul Eglise locale. . Et comme pour les hommes, ce n’est pas la soumission à une autorité qui les unit, mais leur nature commune ; de même, les Eglise locales ne sont pas unies par le Pape et la Hiérarchie papiste, mais par leur nature commune. Une Eglise Orthodoxe locale, même limitée dans l’espace et par le nombre de ses fidèles, est, à elle seule, CATHOLIQUE, indépendamment de toutes les autres, parce que rien ne lui manque de la Grâce et du Don gratuit de Dieu. Toutes les Eglises locales du monde entier, ensemble, ne possèdent rien de plus en Grâce divine que telle Eglise petite et peu nombreuse.

Elle a ses prêtres et ses évêques, les sacrements, le Corps et le Sang du Christ dans la Sainte Eucharistie. En elle, toute âme digne peut goûter à la présence du Saint-Esprit. Elle possède toute la grâce et toute la vérité. Que lui manque-t-il alors pour être CATHOLIQUE ? Elle est ce troupeau UN et l’Evêque est son pasteur, image du Christ l’Unique Pasteur. Elle est, sur la terre, la figure du Seul Troupeau avec son Seul Pasteur, et de la Nouvelle Jérusalem. En elle, les cœurs purifiés goûtent, dès cette vie, au Royaume de Dieu, aux arrhes de l’Esprit. En elle, les cœurs purifiés trouvent la paix "qui surpasse l’intelligence", la paix qui n’a rien à voir avec la paix des hommes : "Je vous donne Ma Paix".

"Paul, appelé à être apôtre de Jésus-Christ… à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe… " Oui, elle était vraiment "l’Eglise de Dieu ", bien qu’étant à "Corinthe ", dans un lieu concret, limité. C’est cela l’Eglise Catholique, quelque chose dans un lieu concret, dans le temps, dans les personnes. Ce "concret " peut être répété en tout lieu et en tout temps, sans pour cela cesser d’être, en son essence, le même.


Ses rapports avec les autres Eglises ne sont pas des rapports juridiques et administratifs d’interdépendance, mais des rapports d’Amour et de Grâce. Une Eglise locale est unie à toutes les autres Eglises locales du monde entier, par le lien de l’identité. Eglise de Dieu l’une, Eglise de Dieu l’autre et toutes les autres. Les frontières des nations ne les divisent pas, ni les aspirations politiques des Etats dans lesquels elles vivent ; même le fait de s’ignorer l’une l’autre ne les sépare pas ; car au même Corps du Christ auquel les Hellènes communient, communient aussi les noirs de l’Ouganda, les Indiens, les Alaskiens et les Russes de Sibérie. C’est le même sang du Christ qui coule dans leurs veines. L’Esprit Saint éclaire leur esprit et les conduits à la connaissance de la même vérité.

Certes, il existe des rapports d’interdépendance entre les Eglises locales et des canons les règlent, mais cette interdépendance n’est pas un rapport de contrainte juridique, mais un lien de respect et d’amour, dans une pleine liberté, la liberté de la Grâce. Et les Canons ne sont pas les lois d’un droit, mais des guides sages, fruits d’une expérience séculaire.


L’Eglise n’a pas besoin de liens extérieurs, pour être UNE. Ce n’est pas un Pape, un Patriarche ou un Archevêque qui unit l’Eglise. L’Eglise locale est quelque chose d’achevé, elle n’est pas partie d’un grand tout.

D'ailleurs, les rapports entre Eglises sont des rapports d'Eglises et non des rapports qui concerneraient, exclusivement, leurs Evêques. UN Evêque sans troupeau ou indépendant de son troupeau est chose inconcevable. L'Eglise c'est le Corps du Christ et non l'Evêque seul. On l'appelle Patriarche quand il fait paître un Patriarcat, et Archevêque quand l'Eglise qu'il fait paître est un Archevêché ; le respect et l'honneur reviennent à l'Eglise locale et, par extension, à son Evêque. L'Eglise d'Athènes, par exemple, est aujourd'hui la plus grande et la plus importante Eglise locale d’Hellade ; pour cette raison, on lui doit un plus grand respect, un plus grand honneur qu'à n'importe quelle autre Eglise d'Hellade. Dans le règlement des problèmes ordinaires, son rôle est grand et son opinion de poids. Et c'est en toute justice qu'elle est appelée Archevêché. En conséquence, l'Evêque de cette Eglise, représentant une Eglise de cette importance est une personne d'égale importance, et c'est encore, en toute justice, qu'il est appelé Archevêque. Dans les degrés du sacerdoce : diacre, prêtre, évêque, il n'est pas de supérieur à celui d'Evêque. Les titres de Métropolite, d'Archevêque, de Patriarche ou de Pape, n'expriment pas un ordre de grandeur dans le charisme ecclésiastique, parce qu'il n'y a pas de grâce plus grande que celle donnée à l'Evêque. Ces titres indiquent, seulement, une différence dans l'importance des Eglises dont ils font partie.


L'importance d'une Eglise, par rapport aux autres, n'est pas immuable ; elle dépend de circonstances extérieures. En étudiant l'Histoire de l'Eglise, on voit des primautés d'importance et de respect passer d'une Eglise à une autre, dans une succession naturelle. Aux temps apostoliques, l'Eglise de Jérusalem avait, sans conteste, la primauté de l'autorité et de l'importance. Cette Eglise avait connu le Christ, elle avait entendu ses paroles, elle l'avait vu crucifié et ressuscité ; sur elle était descendu, pour la première fois, le Saint Esprit. Tous ceux qui se trouvaient en communion de foi et de vie avec elle, étaient assurés de marcher sur la voie du Christ. C'est pourquoi Paul, quand il fut accusé de ne pas prêcher l'Evangile du Christ, se hâta d'aller exposer son évangile à l'Eglise de Jérusalem, pour que l'accord de celle-ci fût une réponse qui réduisît au silence ses ennemis (Gal.2, 1).

Plus tard et peu à peu, cette primauté passa à Rome, qui était alors la Capitale de l'Empire Romain. Une foule de chrétiens distingués formait cette Eglise. Deux apôtres coryphées y avaient vécu et enseigné. Des Martyrs, en foule, avaient teint sa terre de leur sang. Pour ces raisons, son opinion était respectable et son autorité grande dans le règlement des problèmes communs, mais c'était l'autorité de l'Eglise et non pas de son Evêque. Quand elle était interrogée sur des problèmes communs, son Evêque répondait, non pas en son nom, comme le ferait le Pape aujourd'hui, mais au nom de son Eglise. Dans son épître aux Corinthiens, Clément de Rome commence ainsi : "L'Eglise de Dieu qui est à Rome, à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe..." Il écrit, dans un style conciliant et suppliant, pour transmettre le témoignage de son Eglise et son opinion sur ce qui s'était passé à Corinthe. Ignace le Théophore, dans son épître à l'Eglise de Rome, ne mentionne, nulle part, son évêque ; il s'adresse à l'Eglise qui jouissait de la primauté dans la hiérarchie des Eglises de son temps.

Quand saint Constantin eut transféré La capitale de l'Empire Romain à Byzance, Rome commença, peu à peu, à perdre son ancien éclat ; elle devenait une ville provinciale. Une nouvelle Eglise locale commençait à s'imposer à la conscience du monde chrétien : l'Eglise de Constantinople. Rome s'efforça de conserver, jalousement, son éclat du passé, mais comme les choses n'abondaient pas dans son sens, elle allait développer, peu à peu, son ecclésiologie papale bien connue, et consolider, théoriquement, ce que les circonstances lui refusaient. Elle devait arriver à proclamer que le Pape était infaillible quand il dogmatisait, même si par sa peccabilité, il ne possédait pas la lumière que donne la sainteté que possédaient les Pères de L'Eglise.




L'Eglise de Constantinople devait jouer le rôle le plus important, pendant les grandes hérésies et les Conciles Œcuméniques. Et à son tour, elle devait donner sa part de sang, dans le martyr de milliers de ses enfants à l'époque de l'iconoclasme. Aux côtés de ces Eglises qui jouissaient, selon les temps, de la primauté de l'autorité, il y en avait d'autres qui occupaient une seconde ou une troisième place ; c'était les divers Patriarcats anciens ou nouveaux et d'autres Eglises ou Métropoles importantes. Il y a certes hiérarchie, mais hiérarchie d'Eglises et non pas d'Evêques. Saint Irénée ne conseille pas aux chrétiens de s'adresser à des Evêques importants, pour solutionner leurs problèmes, mais aux Eglises qui possèdent les racines les plus anciennes, pour trouver la réponse dans la foi et la vie de ces Eglises qui ont leurs racines chez les Apôtres (Adv. Haer. 111,4-1).

Il n'y a donc pas de lien d'organisation administrative et juridique entre Les Eglises, mais des liens de charité et de grâce, liens qui unissent aussi fidèles laïcs et clercs de chaque Eglise. Le rapport prêtre-évêque n'est pas un rapport employé-patron, mais un rapport charismatique, un rapport sacramentel. L'Evêque est celui qui transmet la grâce du sacerdoce au prêtre. Et le prêtre donne au laïc la grâce des sacrements. Ce qui distingue l'évêque du prêtre, c'est Le charisme de l'ordination. En rien d'autre L'évêque n'est supérieur au prêtre, fut-il L'évêque d'une importante Eglise avec Le titre de Patriarche ou de Pape. "IL n'y a pas une grande distance entre les presbytres et Les évêques, écrit saint Jean Chrysostome. Les prêtres ont reçu La mission d'enseigner et de gouverner L'Eglise, et dès Lors on peut Leur appliquer ce qui regarde Les évêques. Ceux-ci ne l'emportent que par La consécration ; voilà ce qu'ils paraissent avoir de plus que Les prêtres" (Hom. XI in 1 Tim.).

Les Evêques n'ont aucun droit de se comporter en princes, non seulement envers les autres Eglises, mais même pas envers les prêtres et Les laïcs de Leur propre Eglise. Ils ont Le devoir de veiller, paternellement, de conseiller, de guider, de lutter contre le mensonge, de réprimander avec amour et sévérité les fauteurs, de présider à la charité. Et ces devoirs, ils Les partagent avec les prêtres. Les prêtres, à Leur tour, voient, dans les Evêques, la source du sacerdoce et ils Les entourent avec affection. Tout, dans L'Eglise, doit être régi par l'amour. Les différences sont des différences de charismes, non des différences juridiques, mais de pouvoir spirituel ; même, entre les laïcs, il y a charismes et charismes.

L'UNITE de l'Eglise n'est donc pas une question de soumission à une autorité supérieure, ni d'obéissance d'inférieurs à des supérieurs. L'UNITE n'est pas faite de relations extérieures, même pas de décisions conciliaires, fussent-elles œcuméniques. L'UNITE de L'Eglise est donnée par la Communion au Corps et au Sang du Christ, dans la communion avec La Sainte Trinité. L'UNITE est Liturgique et mystique.

Les décisions communes d'un Concile Œcuménique ou local ne sont valides que Lorsque la conscience de l'Eglise les a acceptées et qu'elles sont en accord avec la Tradition.

Le Papisme est, par excellence, l'altération de L'UNITE ecclésiastique ; il fait du lien de la charité et de la liberté, un lien de nécessité et de tyrannie. Le Papisme, c'est l'incrédulité en la puissance de Dieu et La foi en La puissance des systèmes humains.



Mais il ne faut pas croire que le Papisme n'existe qu'en Occident.IL a commencé, ces derniers temps, à montrer son nez chez les Orthodoxes. Certains nouveaux titres caractérisent cet esprit, comme par exemple, celui "d'Archevêque d'Athènes et de toute l'Hellade", de "Patriarche de Moscou et toutes les Russies", d'"Archevêque de l'Amérique" etc. On entend dire souvent du Patriarche de Constantinople :"Le Chef de l'Orthodoxie", ou les Russes dire : "Moscou troisième Rome", son Patriarche tenant les rênes de toute l'Orthodoxie.

D'ailleurs de fortes rivalités se font nettement jour.

Tout cela manifeste le même esprit séculier, la même soif de domination et les tendances unionistes qui caractérisent, aujourd'hui, le monde.

Les hommes ne peuvent pas percevoir L'UNITE dans La multiplicité, qui est un profond mystère. Notre incapacité à percevoir cette unité provient de L'état de dislocation qui est celui de l'humanité. De PERSONNES, les hommes sont devenus des INDIVIDUS séparés et ennemis et il leur est, maintenant, impossible de sentir l'unité profonde de leur nature. Pourtant l'homme est un et multitude, un en sa nature, multitude dans ses personnes. Tel est aussi le mystère de la Sainte Trinité, tel est aussi le mystère de l ' Eglise.





LES PSEUDO-EVEQUES


Il est indispensable que les chrétiens sachent que l'Eglise a des fondements sacramentels et non administratifs, pour éviter ce qui est arrivé aux Occidentaux qui ont suivi le Pape dans ses errements et qui ont cru qu'en ne le suivant pas, ils seraient hors de l'Eglise.

De nos jours, Les divers Patriarcats et Archevêchés subissent de grandes pressions de La part des puissances politiques, qui cherchent à utiliser, à Leur profit, Les orthodoxes. Le Patriarcat de Moscou se trouve sous L'influence soviétique et celui de Constantinople sous celle de l'Amérique. C'est sous Le patronage de celle-ci que le Patriarcat de Constantinople est entré en contact avec le "Conseil Œcuménique des Eglises" qui est protestant et, lui aussi, sous influence américaine, et qu'ont commencé les rapports servi les avec la Papauté, rapports qui, aujourd'hui, ont pris des dimensions inquiétantes, par des pressions exercées sur les autres Eglises Orthodoxes.



L'Amérique croit qu'elle fortifiera la parataxe occidentale contre Le communisme si elle arrive, par une réconciliation toute artificielle, à unifier ses forces spirituelles. L'Eglise devient ainsi la proie des puissances politiques du monde avec des conséquences, pour Les orthodoxes, qu'on ne saurait prévoir.



Le peuple orthodoxe est-il obligé de suivre, à l'infini, un patriarcat inféodé ? Le fait que ce Patriarcat ait gardé pendant des siècles la primauté de l'autorité et de L'honneur, dans Le monde chrétien, ne peut justifier ceux qui le suivront dans ses compromissions avec l'hérésie. Il fut un temps où Rome jouissait de la primauté d'autorité et d'honneur, dans Le monde chrétien, mais cela n'a pas suffit pour que les chrétiens la suivissent sur la voie de l'hérésie. La communion avec une Eglise et le respect que les autres Eglises Lui témoignent demeurent et continuent tant que cette Eglise reste Eglise, tant qu'elle vit et marche dans l'Esprit et La Vérité. Quand un Patriarcat cesse d'être Eglise, qu'il entre en communion avec des hérétiques, il cesse alors d'être reconnu par Les autres Eglises.

IL faut que le peuple orthodoxe prenne conscience qu'il ne doit aucune obéissance à un évêque, quel que soit son titre élevé, quand cet évêque cesse d'être orthodoxe et suit ouvertement des hérétiques, sous prétexte d'une union "sur pied d'égalité". IL doit, tout au contraire, le fuir et confesser sa foi. Car un Evêque, fût-il Patriarche ou Pape, cesse d'être Evêque, dès le moment qu'il cesse d'être orthodoxe. L'Evêque est, certes, une personne sacrée, qu'on doit respecter et honorer, même s'il est manifestement pécheur, jusqu'à décision synodale. Mais, s'il devient, ouvertement, hérétique ou s'il communie avec des hérétiques, alors Les chrétiens, sans attendre de décision d'un synode, doivent se séparer immédiatement de lui.

Voici ce que disent les Canons de L'Eglise à ce sujet : "...Si un prêtre, ou un évêque, ou un métropolite, ose rompre la communion avec son propre Patriarche et cesse de mentionner son nom, lors de La divine Liturgie, selon l'ordre prescrit, et avant toute décision synodale Le condamnant définitivement, il fait un schisme. Le saint concile décide qu'il soit déposé dès qu'il sera accusé de son iniquité. Cela concerne ceux qui, sous prétexte de quelque faute de leurs présidents, rompent avec eux et font un schisme, déchirant ainsi L'unité de l'Eglise. Mais ceux qui, pour telle hérésie, condamnée par les Saints Conciles ou les Pères, se séparent de la communion de leur président, qui prêche publiquement l'hérésie et l'enseigne tête-nue, dans L'Eglise, ceux-ci ne sont pas exposés aux sanctions ci-dessus, pour avoir rompu la communion avec l'évêque en question, avant jugement synodal, mais ils sont dignes de l'honneur qui revient aux orthodoxes. Car ils n'ont pas condamné des évêques, mais de faux-évêques et de faux docteurs ; ils n'ont pas brisé L'UNITE de l'Eglise par un schisme, mais ont tout fait pour préserver l'Eglise des schismes et des divisions" (Canon XV du Concile Premier-Second).